La version prononcée fait foi.
Seul le texte prononcé fait foi
Monsieur le Président,
L’Assemblée nationale se porte aujourd’hui à la défense des droits fondamentaux du peuple québécois et à la défense de ses propres pouvoirs et prérogatives. Confrontée à la dérive antidémocratique du gouvernement fédéral, l’Assemblée nationale n’a d’autre choix, face à la loi
C-20 d’intervenir pour parer à cette atteinte sans précédent au droit fondamental du peuple québécois de disposer librement de son avenir politique.
Comme l’ont clairement indiqué les résultats du référendum du 30 octobre 1995, le régime politique canadien vit une crise politique profonde. Sans la volonté, ni la capacité d’apporter les réformes nécessaires à un renouvellement qui tiendrait compte des demandes historiques du Québec, cette fédération n’a plus d’autres avenues pour maintenir son unité que de recourir à l’argument de la raison d’État. Cela transparaît dans la loi C-20 qui, à sa face même, non seulement transgresse le principe fédéral, mais écarte en outre du revers de la main des règles démocratiques universellement reconnues et appliquées.
Au nom de la raison d’État, la loi C-20 cherche à priver le peuple québécois du libre exercice de son droit inaliénable de disposer comme il l’entend de son avenir politique.
Au nom de la raison d’État, cette loi cherche à assujettir l’Assemblée nationale, la seule qui soit exclusivement représentative du peuple québécois, à un droit de regard du Parlement fédéral, portant ainsi atteinte aux pouvoirs et aux prérogatives qui appartiennent à cette Assemblée depuis toujours.
Au nom de la raison d’État, le gouvernement fédéral s’est abstenu de soumettre à la consultation publique, tant au Québec que dans le reste du Canada, sa loi C-20. Et il a eu recours à une série de moyens procéduriers qui lui ont permis, en comité, de limiter les débats.
Le gouvernement fédéral affirme que sa loi C-20 colle au texte de l’avis consultatif de la Cour suprême du Canada. Rien n’est plus inexact. Je l’ai déjà dit à plusieurs reprises et je le redis encore aujourd’hui, parce qu’il est important que l’on comprenne que le gouvernement fédéral désinforme et trompe sciemment la population lorsqu’il fait une telle affirmation.
Je rappelle encore une fois que nulle part dans son avis consultatif la Cour suprême vient conférer au Parlement fédéral un droit de regard sur le contenu de la question référendaire. Que nulle part dans son avis consultatif la Cour suprême vient imposer, sous prétexte de clarté, une question simpliste qui doit expressément exclure de son champ toute référence à un partenariat politique ou économique. Que nulle part dans son avis consultatif la Cour suprême vient réserver au Parlement fédéral l’autorité de fixer a posteriori et à son gré le seuil de majorité requis. Que nulle part dans son avis consultatif la Cour suprême vient permettre au Parlement fédéral de dicter le contenu des négociations post référendaires.
Alors pourquoi le gouvernement fédéral cherche-t-il à induire délibérément la population en erreur? Encore une fois, pour cause de raison d’État. Imaginez : l’avis consultatif que le gouvernement fédéral a lui-même demandé est venu déclarer rien de moins que la divisibilité du Canada.
Pour en rajouter, la Cour suprême prend même le soin de préciser que cette divisibilité s’effectuera, le cas échéant, par le détachement d’une entité territoriale de la fédération. Pas d’une entité amputée de ses territoires nordiques ou d’une entité amputée de ses territoires limitrophes. Non. Elle parle d’une entité déjà territorialement délimitée au sein de sa fédération. Autrement dit, un détachement qui s’effectue dans le respect de l’intégrité territoriale de l’État à naître. En l’occurrence, dans le respect de l’intégrité territoriale du Québec. Comme le stipulent les règles du droit international. Comme cela s’est d’ailleurs fait au moment de la reconfiguration récente d’autres grandes fédérations.
L’avis de la Cour suprême précise en outre que le rejet clairement exprimé par le peuple du Québec de l’ordre constitutionnel existant conférerait légitimité aux revendications souverainistes et imposerait au reste du Canada l’obligation de prendre en considération et de respecter cette expression de la volonté démocratique en engageant des négociations que la Cour conçoit comme devant se dérouler d’égal à égal, entre deux majorités légitimes, l’une ne pouvant l’emporter sur l’autre.
On comprend aisément le désarroi du gouvernement fédéral qui, selon les conclusions de son propre renvoi, se voit non seulement imposer l’obligation de reconnaître la légitimité du fait que le peuple québécois puisse, dans le cadre fédératif actuel, revendiquer l’accession à la souveraineté, mais qui se voit aussi imposer l’obligation de négocier cette accession à la souveraineté, ce qu’il n’avait jamais auparavant voulu reconnaître.
Comble du dépit pour le gouvernement fédéral, la Cour suprême définit la sécession unilatérale comme une sécession effectuée sans négociations préalables, confirmant ainsi indirectement la position du gouvernement du Québec qui n’a jamais proposé autre chose qu’une accession à la souveraineté réalisée à la suite de négociations menées d’égal à égal avec le reste du Canada, et suivies d’une période de transition.
On comprendra aussi le désarroi du gouvernement fédéral qui voit la Cour suprême ignorer le concept de majorité qualifiée et parler plutôt d’un concept de majorité claire au sens qualitatif du terme. Ses épouvantails à 55,60 et 66 % et même plus, le gouvernement fédéral ne peut plus les brandir et ses atteintes au principe démocratique de l’égalité de droit des électeurs, il ne peut plus tenter de les faire passer pour légitimes.
Enfin, il y a aussi l’obligation de bonne conduite imposée aux parties, y compris à la partie fédérale. Encore une fois, on peut comprendre le désarroi de cette dernière, elle qui vient de pondre la loi
C-20 dont les termes traduisent parfaitement, à mon sens, le type d’« intransigeance injustifiée » justement évoquée par la Cour suprême comme facteur pouvant ouvrir la voie à une accession de facto du Québec à la souveraineté. Un autre pan de l’argumentation fédérale qui s’écroule à ses pieds, alors que la Cour suprême envisage elle-même la possibilité d’une telle accession de facto, réduisant ainsi au néant toutes ces idées de vacuum ou de trou noir avalant le Québec tout entier au lendemain d’une déclaration unilatérale d’indépendance. Il n’en sera rien. Comme la Cour suprême le reconnaît, cette voie existe et elle est bien balisée.
Nous venons de voir, en quelques mots, pourquoi le gouvernement fédéral tient tellement à réécrire l’avis consultatif du 20 août 1998 et comment la loi C-20 vient participer à cet exercice. Pour le Québec, il ne peut y avoir à cet d’égard d’ambivalence. La loi C-20 doit être dénoncée et contrée.
C’est ce que vient faire le projet de loi no 99. Et il le fait dans le respect du fédéralisme, de la démocratie, de la primauté du droit et des droits des minorités. Quant au principe du constitutionnalisme, nul ne peut ignorer le fait que la Loi constitutionnelle de 1982 reste, pour le Québec et pour le peuple québécois, gravement teintée d’illégitimité. D’ailleurs, il s’agit là de l’aspect le plus regrettable de l’avis consultatif de la Cour suprême. Bien que cet aspect soit de nature essentiellement politique, il ne peut pas et n’aurait pas dû être passé sous silence.
Il est clair aussi que le gouvernement du Québec ne peut, par une acceptation sans réserve du renvoi, cautionner la rupture de 1982 et, surtout, cautionner l’application d’une formule d’amendement mise en place sans son accord ni celui d’un des deux peuples fondateurs du Canada. Jamais un gouvernement du Québec ne pourrait accepter que l’application de cette formule puisse se traduire un jour par l’octroi, aux neuf autres provinces, d’un droit de veto sur l’avenir politique du Québec et du peuple québécois.
En quelques mots, le projet de loi no 99 réitère les principes politiques et juridiques qui constituent les assises de la société et de la démocratie québécoises. Il consacre notamment le droit fondamental du peuple québécois à disposer librement de son avenir politique. Il réaffirme la souveraineté de l’État du Québec dans tous ses domaines de compétence, tant à l’interne que sur la scène internationale, ainsi que l’intégrité du territoire québécois.
De plus, il affirme avec force qu’aucun autre parlement ou gouvernement ne peut réduire les pouvoirs, l’autorité, la souveraineté et la légitimité de l’Assemblée nationale. Il réitère les principes sous-jacents de la Charte de la langue française. Il précise, enfin, que la règle de la majorité de 50 % + 1 des votes validement exprimés, universellement reconnue et appliquée, est celle qui continuera de prévaloir dans l’interprétation des résultats de tout référendum tenu en vertu de la Loi sur la consultation populaire par lequel le peuple québécois exercera son droit à disposer de lui-même.
Le projet de loi no 99 a fait l’objet d’une consultation populaire et d’audiences publiques. Soixante-six mémoires ont été reçus, provenant de tous les horizons de la société civile québécoise, et une soixantaine ont été entendus. Plusieurs citoyens ont comparu à titre individuel. Le gouvernement a tenu compte des arguments des intervenants et plusieurs changements ont été apportés au contenu initial du projet de loi.
Plusieurs intervenants entendus par la Commission des institutions nous ont demandé de mettre au rancart nos divisions partisanes le temps de répondre à l’atteinte perpétrée par le gouvernement fédéral contre nos droits fondamentaux. C’était là une attente légitime chez ceux et celles que nous représentons et j’estime qu’il est toujours de notre devoir de député d’y répondre positivement.
Aussi, puis-je me permettre de réitérer au chef de l’Opposition officielle et aux députés de sa formation politique qu’il n’est pas trop tard pour forger un consensus autour du projet de loi no 99. Je les invite, le temps d’un vote, à se ranger résolument et solidairement du côté des intérêts supérieurs du Québec en se portant à la défense de du droit collectif le plus fondamental du peuple québécois, celui de décider librement et sans ingérence de son avenir politique.
Mais j’ai beau formuler cette invitation avec ouverture et sincérité, je dois néanmoins avouer que je n’ose pas trop y croire. Depuis le dépôt du projet de loi no 99, j’ai vu l’Opposition officielle manœuvrer dans ce dossier. Au début, elle lui reprochait de passer sous silence l’appartenance du Québec à la fédération canadienne et de ne pas s’engager plus avant à l’égard de l’avis consultatif de la Cour suprême du Canada. Elle lui reprochait également la formulation de certains de ses articles. Tel était le discours de l’Opposition officielle au moment de l’ouverture des audiences publiques le 8 février dernier. Il n’était pas beaucoup question du « véhicule » à ce moment-là.
Le gouvernement a écouté. Non seulement le public, mais aussi l’Opposition officielle : le libellé de certains articles a été modifié et le gouvernement a fait une ouverture significative en ajoutant deux considérants portant sur l’avis consultatif et l’appartenance à la fédération canadienne. L’Opposition officielle conservait en outre la possibilité de proposer des amendements encore plus importants si elle le désirait. Mais elle n’en fit rien.
En commission parlementaire, au moment de l’étude article par article, on aurait pu ainsi s’attendre à ce que l’Opposition officielle se prononce au moins en faveur des dispositions réaffirmant les droits fondamentaux et les prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec. Encore une fois, elle n’en fit rien. Et je crois que le Québec tout entier le regrette sincèrement.
À court d’arguments pour contester le contenu du projet de loi, l’Opposition officielle devait changer de stratégie. Elle s’en prit alors à l’idée même d’un projet de loi, contestant, selon l’expression qu’elle a privilégiée, le « véhicule » utilisé par le gouvernement du Québec pour répondre à la loi
C-20. Selon l’Opposition officielle, le principal défaut de ce « véhicule » est de donner prise à une éventuelle contestation judiciaire des droits et prérogatives qui y sont énoncés.
Si vous me permettez un jeu de mots facile, monsieur le Président, je vous dirai que cet argument du « véhicule » ne tient pas la route. À une loi, il était préférable de répondre par une loi. Pourquoi? Parce que si les choses restent telles qu’elles sont, il va y avoir, un jour, nécessité d’un arbitrage. Pour se gouverner, les citoyennes et les citoyens devront savoir quelles normes auront préséance, lesquelles seront applicables. À ce moment-là, il sera important, voire essentiel, que ces normes aient, au départ, un statut comparable. Une déclaration de l’Assemblée nationale, fut-elle solennelle ou autre, ne pourrait offrir à ce chapitre le même poids qu’une loi.
L’argument du « véhicule » souffre également du fait que l’Opposition officielle semble postuler au départ que les droits et les prérogatives énoncés dans le projet de loi no 99 ont un caractère incertain qui les rendraient vulnérables à toute contestation judiciaire. Le gouvernement du Québec récuse ce genre de raisonnement qui ne vise qu’à rapetisser le peuple et l’État québécois.
Il n’y a rien de nouveau dans les droits et les prérogatives énoncés dans le projet de loi no 99. Ces droits et ces prérogatives sont ceux qui ont été, dans le passé, et qui sont, actuellement, exercés par le peuple et l’État québécois. Que l’Opposition officielle se détrompe et surtout se rassure. Ces droits et ces prérogatives existent. Ils n’ont rien de fictif, ni d’incertain. Ils sont réels. Ce qu’il y a de nouveau et de différent, c’est qu’ils se trouvent, pour la première fois, réunis et formellement énoncés dans un texte de l’Assemblée nationale. L’énumération n’est pas exhaustive, mais les principaux y sont.
Le serment que j’ai prêté, comme député de l’Assemblée nationale, va m’enjoindre, dans peu de temps, à me lever et à me porter, par mon vote, à la défense des droits fondamentaux des citoyennes et des citoyens qui m’ont accordé le privilège de les représenter. Je sais que mes collègues des banquettes ministérielles feront de même. Je crois comprendre que le député de Rivière-du-Loup et chef du parti de l’Action démocratique fera également preuve de la même solidarité. Il reste à savoir ce que feront les députés membres de l’Opposition officielle.
Je conclus, monsieur le Président, par les mêmes mots que ceux que j’ai utilisés, il y a quelques mois, dans mon intervention lors du débat sur l’adoption du principe. J’y disais que le peuple québécois existe et qu’il compte aujourd’hui l’affirmer. Désormais, il entend se prévaloir de tous les droits, attributs et prérogatives que son statut de peuple lui confère. Le projet de loi no 99 s’inscrit dans cette démarche. Il inaugure une ère qui verra le Québec et le peuple qui l’habite occuper, en toute amitié et en toute égalité, la place que l’Histoire en marche réserve à ceux et celles qui, conscients de leur passé, engagés dans le présent et tournés vers l’avenir, affirment leur existence.
Merci monsieur le Président.