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Le 28 août 2002 Le fédéralisme dans un monde en transformation

La version prononcée fait foi.

Notes d'allocution de l'intervention de monsieur Jean-Pierre Charbonneau dans le cadre de la Conférence internationale sur le fédéralisme 2002 tenue à St-Gall en Suisse

Thème : Le fédéralisme et les relations internationales
Sous-thème : La mise en œuvre du droit international

Mesdames, Messieurs,

Il me fait plaisir de vous entretenir aujourd’hui d’un sujet qui intéresse le Québec depuis fort longtemps. En effet, depuis près de 40 ans, le thème du fédéralisme et des relations internationales fait au Québec l’objet de réflexions et de débats nourris. Dans le contexte actuel, avec l’évolution et la diversification extraordinaires qu’ont connues, ces dernières années, les relations internationales, ces réflexions et ces débats sont plus que jamais pertinents.

M’inspirant du titre de cette conférence, du thème et du sous-thème du présent atelier, je parlerai d’abord brièvement des relations internationales en ce début de 21e siècle et, plus particulièrement, de ce phénomène à multiples facettes qu’est la mondialisation. J’aborderai ensuite la gouvernance à l’ère de la mondialisation, en général, et, plus spécifiquement, la gouvernance en système fédéral, pour me concentrer, enfin, sur la problématique de la mise en œuvre des traités internationaux et le cas canadien. Tout au long de ma présentation, je m’efforcerai de mettre en évidence trois problématiques engendrées par la mondialisation, l’une générale aux démocraties et les deux autres, propres aux fédérations, dans le but d’en démontrer les similitudes tant dans leur origine et leurs symptômes, qu’au niveau des solutions susceptibles d’y remédier.

Mais, avant de commencer, je crois utile de rappeler un ou deux éléments de contexte pour le bénéfice de ceux qui ne seraient pas familiers avec l’Histoire du Canada.

Les Amériques d’aujourd’hui sont le reflet de la fondation, aux temps modernes, de nouvelles sociétés issues principalement des cultures européennes provenant de la Grande-Bretagne, de l’Espagne, du Portugal et de la France. Héritier de la présence française en Amérique, le Québec est la plus grande communauté francophone à l’extérieur de la France.

Dès l’époque de la Nouvelle-France, à l’instar d’autres colonies du Nouveau Monde, les habitants non autochtones du Québec ont su développer une identité collective et un mode de vie propre qui allaient donner naissance au peuple québécois que nous connaissons aujourd’hui, un peuple passablement métissé au sein du creuset francophone.

Le régime colonial anglais, découlant d’une conquête militaire en 1760, a très vite dû s’adapter à cette réalité nationale, notamment en rétablissant, en 1774, le droit civil d’origine française abrogé au lendemain de la Conquête. En 1840, on tentera, sans succès, de faire disparaître ces traits nationaux par l’assimilation en fondant, en une seule entité, les colonies du Bas et du Haut Canada, correspondant au Québec et à l’Ontario d’aujourd’hui. Ce sont, entre autres, les difficultés politiques de cette union forcée qui devaient conduire, quelques années plus tard, à la création de la fédération canadienne en 1867. Pour les leaders politiques de l’époque, ce régime fédératif se voulait être le moyen d’assurer le respect et l’épanouissement de la dualité culturelle canadienne issue de la coexistence au sein du même État d’un Canada français et d’un Canada anglais. L’acte constitutionnel fondateur est en fait un compromis entre les tenants majoritaires d’un état unitaire et les tenants minoritaires d’une véritable union confédérale. Les partisans de l’État unitaire étant surtout canadiens anglais alors que les partisans du second modèle étaient surtout canadiens français. Voilà pourquoi on a parlé alors d’un pacte entre deux nations. Toutefois, il faut savoir que le texte constitutionnel canadien est néanmoins un document essentiellement centralisateur. Il y a lieu de rappeler que cette constitution a été élaborée dans le contexte colonial britannique où le Canada demeurait un Dominion anglais.

Maintenant, quant aux relations internationales en ce début de 21e siècle, je ne surprendrai personne en disant que, d'abord compris comme un processus économique, la mondialisation est aujourd’hui vue comme un phénomène beaucoup plus complexe ayant des retombées sur les systèmes politiques et sociaux de même que sur la culture et l'identité des peuples. À l’évidence, l’intégration des marchés affecte aussi des secteurs tels que la culture, la santé et l'éducation. Manifestement, il est devenu plus difficile pour les gouvernements d’appliquer librement sur leur territoire toutes les politiques qu'ils estiment être dans l'intérêt des citoyens. Les autorités publiques doivent de plus en plus tenir compte de l’action normative des grands forums internationaux. Bref, les États ne peuvent et ne veulent plus agir en vase clos.

Le Québec a été un ardent promoteur de l’Accord de libre-échange canado-américain, puis de l’Accord de libre-échange nord-américain. Il appuie maintenant la création d’une zone de libre-échange couvrant tout l’hémisphère des Amériques (la ZLEA). Le Québec est un partisan de la mondialisation, mais d’une mondialisation à visage humain, une mondialisation respectueuse des enjeux sociaux, environnementaux et culturels, ce qui est possible.

Dans cette perspective, la participation aux forums internationaux est en voie de devenir, en raison de son caractère de plus en plus névralgique, l’un des attributs les plus importants de la souveraineté. En effet, la diminution de la marge de manœuvre de l’État au chapitre de sa souveraineté intérieure dans l’élaboration des politiques publiques sur son territoire est, dans une certaine mesure, compensée au chapitre de sa souveraineté extérieure par la possibilité de négocier, avec les autres États, l’ordre normatif qui s’appliquera à l’ensemble des pays. Partant de là, il nous faut s’interroger sur l’organe qui, au sein de l’État, exerce les prérogatives liées à la souveraineté extérieure.

Or, voilà que cet examen fait apparaître d’importants déséquilibres institutionnels et constitutionnels.

L’un de ces déséquilibres causés par la mondialisation est ce qu’on appelle le « déficit démocratique » qui, essentiellement, découle du fait que, dans les forums internationaux, les États sont représentés par leur exécutif respectif. Par conséquent, l’élaboration des politiques publiques dans de nombreux domaines échappe de plus en plus à la responsabilité des parlements nationaux élus, c’est-à-dire au pouvoir législatif. Il y a, en quelque sorte, un transfert de pouvoirs de la branche législative en faveur de la branche exécutive.

Au départ, l’emprise des exécutifs sur les relations internationales n’était pas susceptible de poser un problème, dans la mesure où les questions traitées, pour l’essentiel, relevaient de toute façon de la prérogative de ces mêmes exécutifs : tout ce qui touchait la guerre et la paix, par exemple. Compte tenu de la nature de ces enjeux, il était tout aussi facile de convenir de l’importance, dans la conduite des relations internationales, du secret et de la célérité, « secrecy and dispatch » pour reprendre les mots de John Jay, l’un des pères de la Constitution américaine. Les choses sont bien différentes aujourd’hui. Sans doute, existe-il encore un domaine qui ne devrait relever que de l’exécutif mais, vous en conviendrez avec moi, ce domaine est probablement devenu la portion congrue.

Dans les fédérations, comme au Canada, où l’exercice de la souveraineté, en plus d’être partagé entre les branches législative, exécutive et judiciaire, est également partagé entre un gouvernement fédéral et des États fédérés, ce déficit se creuse. En effet, si les sujets abordés dans les forums internationaux ont, dans le passé, essentiellement porté sur des questions relevant le plus souvent du pouvoir fédéral, telles que la défense, la navigation et les tarifs douaniers, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Avec l’érosion des frontières, on constate que même les politiques de nature plus locale, qui relèvent ordinairement des États fédérés, font dorénavant l’objet de discussions dans l’arène internationale. Dans le cas canadien, cela signifie que, de plus en plus, on traite, dans ces forums internationaux, de sujets relevant de la compétence du Québec, qu’il s’agisse, par exemple, d’éducation, de culture, de santé, de normes du travail, d’environnement, de ressources naturelles, de commerce électronique ou de droit international privé et la liste est encore longue.

Or, mis à part certaines exceptions, dont je parlerai plus loin, ce sont généralement les gouvernements fédéraux qui participent aux forums internationaux et signent les traités qui en émanent, et dans le cas du Canada, les ratifient, même lorsqu’on y tranche des questions qui relèvent en principe des compétences exclusives des États fédérés. Il en résulte donc une deuxième forme de déséquilibre : un déséquilibre que nous appelons au Québec le « déficit fédératif ».

Et la mise en œuvre du droit international dans tout cela? Si les forums internationaux à caractère décisionnel et, en particulier, la conclusion des traités sont l’apanage des exécutifs, il est fréquent que la mise en œuvre des normes convenues par ceux-ci exige l’intervention des parlements. Autrement dit, en vertu des constitutions des pays, l’exécution des obligations internationales contractées de nos jours exige de plus en plus souvent l’adoption de mesures législatives. C’est bien la preuve que ces questions devraient normalement relever de la compétence des parlements!

Cette intervention souvent nécessaire des parlements est-elle de nature à éliminer le déficit démocratique? Permettez-moi d’en douter. Plus souvent qu’autrement, les décisions prises dans ces forums internationaux revêtent un caractère irréversible. Il n’y a ordinairement pas de possibilité réelle de revenir en arrière. Et un État, dont le parlement refuserait trop souvent de donner suite aux conventions élaborées dans l’arène internationale, se condamnerait lui-même, à moyen terme, à une forme d’exclusion. Dans un tel contexte, on ne s'étonnera pas que les parlementaires aient souvent l’impression que leur rôle en est devenu un d’apparat, consistant à estampiller des décisions prises ailleurs, par d’autres et à huis clos. Ayant eu l’occasion d’échanger sur ce sujet avec des parlementaires du monde entier alors que j’occupais le poste de Président de l’Assemblée nationale du Québec, je peux vous dire que je parle ici en connaissance de cause.

De toute évidence, l’intervention des parlementaires uniquement en aval du processus ne constitue pas une solution au déficit démocratique. Pour peu que l’on croie aux vertus du processus démocratique et que l’on se soucie du respect des obligations internationales contractées au nom de l’État, il est primordial de permettre aux parlementaires de participer au processus de négociation en amont.

Le Québec, je devrais dire son Assemblée nationale, s’est illustré en cette matière en œuvrant activement en faveur du développement de la diplomatie parlementaire. Une de ses réalisations, à cet égard, a été la mise sur pied de la Conférence parlementaire des Amériques (COPA) dans le but d’amener les parlements de cet hémisphère à jouer un rôle actif dans l’établissement de la ZLEA dont je parlais tout à l’heure. Si beaucoup de chemin reste à faire à ce chapitre, je crois néanmoins que nous avons marqué des points, notamment en incitant les exécutifs à rendre publics, pour la première fois, des textes en cours de négociation. Plus récemment, le Québec a modifié sa Loi sur le ministère des Relations internationales afin d’associer, dans toute la mesure du possible, les parlementaires québécois au processus de conclusion des traités en leur permettant de se prononcer officiellement sur ceux-ci avant que le gouvernement du Québec ne prenne quelque engagement à leur égard. Dans notre système constitutionnel de type britannique, il s’agit là d’une avancée majeure, voire d’une première. Évidemment, la place que le Québec cherche, par cette loi, à donner à ses parlementaires est tributaire de son statut d’État fédéré et des étroites limites qui, au Canada, découlent malheureusement de ce statut et surtout de la conception du fédéralisme qui prévaut au Canada. Cela m’amène à discuter de la mise en œuvre du droit international en système fédéral et plus particulièrement au Canada.

La Constitution canadienne de 1867 n’attribue la compétence en matière de relations internationales ni au gouvernement fédéral ni aux États fédérés. La raison en est simple : à cette époque, le Canada n'était qu'un dominion britannique et c'est Londres qui le représentait à l'étranger et contractait en son nom. En 1931, lorsque le Canada a acquis son indépendance de la Grande-Bretagne grâce au Statut de Westminster, Ottawa a, dans les faits, rempli le vide en succédant à Londres sur la scène internationale. Il faut dire qu’à l’époque, cette substitution pouvait sembler assez naturelle, dans la mesure où les rapports internationaux n'intéressaient encore principalement que les compétences dévolues au niveau fédéral.

Toutefois, en 1937, une importante décision du Conseil privé de Londres, lequel est demeuré jusqu’au milieu du 20e siècle l’arbitre final en matière constitutionnelle canadienne, est venue préciser que la mise en œuvre au Canada de tout traité portant sur des questions de compétence provinciale relevait des États fédérés et non du Parlement fédéral. Le raisonnement de la Cour était simple et clair : le gouvernement fédéral, et je cite, « ne peut par de simples promesses à des pays étrangers se revêtir d’une autorité législative incompatible avec la Constitution à laquelle il doit son existence ». En fait, pour la Cour, le résultat inverse serait « extraordinaire » et tendrait ni plus ni moins à « saper les sauvegardes constitutionnelles de l’autonomie des provinces ».

Ainsi, suivant cette décision, si le gouvernement fédéral peut signer des traités internationaux, il ne peut les mettre en œuvre lui-même lorsqu’ils concernent des matières attribuées aux États fédérés en vertu de la Constitution. Mais peut-il même validement signer de tels traités? En 1937, cette question avait été posée à la Cour, mais elle avait choisi ne pas y répondre parce que ce n’était pas nécessaire pour disposer du litige. Cependant, la suite des événements enseigne que l’occupation fédérale unilatérale du terrain et des arguments de commodité ont vite fait oublier ce silence juridique.

Le pouvoir reconnu aux États fédérés de mettre en œuvre les traités ressortissant à leurs compétences efface-t-il le déficit fédératif? Pour le gouvernement du Québec, la réponse est clairement non. En effet, si les États fédérés ont la capacité juridique de refuser de mettre en œuvre un traité signé par le Canada, en pratique, cela pourrait s’avérer difficile pour les mêmes raisons que celles qui confrontent les parlementaires, à savoir la crainte d'être mis à l’écart du concert des nations.

On m’objectera, sans doute, que le gouvernement fédéral consulte régulièrement les États fédérés préalablement à la négociation de certains traités et offre même parfois l’occasion à des fonctionnaires ou ministres provinciaux de se joindre aux délégations canadiennes, sur une base informelle, bien sûr. Mais, il faut savoir qu’en agissant ainsi — c’est-à-dire comme un arbitre — le gouvernement central s’attribue un rôle de premier plan dans la détermination des priorités des États fédérés. Qui plus est, souvent les consultations d’Ottawa ne se limitent pas aux États fédérés, mais s’étendent à des municipalités, des ONG, des membres de la société civile, des entreprises privées, tous placés sur un pied d’égalité. Il s’ensuit une dénaturation du fédéralisme, en ce que les États fédérés se trouvent réduits au rang d’acteurs secondaires, alors que la Constitution de 1867 fait de ceux-ci les dépositaires de pans entiers de la souveraineté de l’État canadien. Dans les faits, la capacité d’une province d’adopter et de maintenir une position divergente est très difficile. Enfin, comme les États fédérés sont rarement associés à l’étape de la négociation elle-même, ils ont très peu d’influence sur les concessions qui y sont ultimement faites, et donc sur le résultat final.

En d'autres mots, on touche ici à la subtile, mais combien importante, distinction entre un droit que l'on voudrait posséder, celui d'être partie à la négociation, et un « privilège » que l'on peut nous retirer aussi facilement qu'il nous a été accordé, celui de faire connaître notre position au gouvernement fédéral, sans assurance de sa part que celle-ci sera présentée à la table de négociations. Et attention : cette distinction n'est pas théorique! C'est toute la marge de manœuvre dont jouira réellement l'État fédéré qui se joue ici. D'ailleurs, tant l'insistance des États fédérés pour se voir reconnaître un droit propre que l'obstination des États fédéraux à ne pas y consentir illustrent toute l'importance de cet enjeu fondamental.

Comme pour les parlementaires, l’intervention uniquement en aval des États fédérés, à l’étape de la mise en œuvre des traités internationaux, n’est pas une solution au déficit fédératif. On doit leur permettre de participer directement au processus en amont, de façon à refléter l'évolution fulgurante des rapports internationaux depuis cinquante ans.

Il y a longtemps que le Québec est conscient de la problématique des fédérations au plan des relations internationales. La préservation du principe fédéral dans le contexte de la mondialisation supposerait en toute logique que les entités fédérées obtiennent la maîtrise de leurs relations internationales pour tout ce qui concerne leurs compétences internes exclusives et, par voie de conséquence, que le gouvernement fédéral accepte de limiter ses interventions aux échanges concernant uniquement ses propres compétences. C’est essentiellement la position du gouvernement du Québec telle qu’énoncée par le ministre libéral, M. Paul Gérin-Lajoie, dès les années 60. Cette position a été reprise en substance par tous les gouvernements du Québec qui se sont succédé depuis et formellement réitérée par le gouvernement actuel du Québec dans une Déclaration en date du 24 mars 1999.

Cette solution, elle est possible. Elle existe déjà, à divers degrés, dans plusieurs fédérations : la Suisse, la Belgique, l'Allemagne... Et le droit international, pragmatique par définition, y est réceptif; il n'en tient qu'aux États, individuellement, de l'adopter pour principe constitutionnel.

Même chez nous, il existe quelques précédents, rares mais convaincants, qui prouvent qu'il est possible de faire les choses autrement. Par exemple, le Québec a acquis depuis longtemps le statut de gouvernement participant dans la Francophonie et, je dirais même, qu'il compte parmi les plus actifs au sein de cette organisation internationale. Au cours des quatre dernières décennies, le Québec a signé de nombreuses ententes – dans le domaine de la sécurité sociale, par exemple, avec la France, l’Italie, la Grèce et d’autres pays – des ententes qui ont toutes les caractéristiques de traités internationaux. Enfin, j'ajouterais qu'il y a un consensus parmi l’ensemble des provinces canadiennes afin d’exiger qu’elles soient, à tout le moins, parties prenantes à toutes les étapes de la négociation des traités internationaux touchant leurs compétences par le biais d’un mécanisme formel et institutionnalisé qui serait convenu avec le gouvernement fédéral.

Pour ce dernier, cependant, la solution semble être tout autre. Selon lui, il importe peu que le Canada soit une fédération. La recherche de l’efficacité oblige le Canada, prétend-il, à ne parler que d’une seule voix sur la scène internationale, celle d’Ottawa, comme s’il était un État unitaire. Dès 1968, le gouvernement fédéral exposait en termes officiels sa conception des rapports internationaux fondée sur « l’indivisibilité » non seulement de la « politique étrangère », mais des « relations étrangères » du Canada; position qu’il a inlassablement cherché à imposer depuis.

Avec ce principe d’indivisibilité, le gouvernement fédéral se donnait des règles d’une rigidité déjà anachronique en 1968 dans un monde que commençaient à transformer tout autant l’explosion des échanges internationaux que la multiplication des intervenants. Cette conception idéologique explique, à maints égards, le climat de contestation et de tension qui s’est par la suite manifesté dans le développement de l’action internationale du Québec. Les difficultés vécues lors du récent Sommet sur l’intégration des Amériques qui s’est tenu dans la ville de Québec, nous l’ont encore rappelé. En effet, le gouvernement fédéral, non content d’avoir pu empêcher toute présence officielle du Québec lors de ce sommet – qui se déroulait dans notre Capitale Nationale, à deux pas de notre Assemblée nationale! – a également refusé que le premier ministre du Québec adresse ne serait-ce qu’un mot de bienvenue aux participants.

En fait, on pourrait affirmer que l’approche du gouvernement fédéral est l'inverse de la position mise de l’avant par le Québec : au lieu de consentir au prolongement des compétences internes des États fédérés au niveau international, Ottawa profite de son emprise sur les relations internationales pour empiéter dans les domaines de compétence provinciale. Même le pouvoir des États fédérés de mettre en œuvre les traités qui touchent à leurs champs de compétences semble l’indisposer. Des voix se sont élevées au Canada anglais, notamment parmi les constitutionnalistes, pour suggérer que soit abandonnée la règle dégagée par le Conseil privé de Londres en 1937. Et pourtant, en quoi la menace pour l'autonomie des États fédérés que constituait déjà, il y a 65 ans, une mainmise fédérale sur les relations internationales aux yeux de ce tribunal serait-elle moins grave aujourd'hui? Et au nom de quoi voudrait-on dépouiller les États fédérés de cet aspect de leur autonomie? Au nom de l'efficacité, dit-on. Mais combien d'abus ont déjà été commis au nom de l'efficacité? Et d’ailleurs de quelle efficacité parle-t-on? Tous ici seront d'accord pour reconnaître que, même s'il est parfois difficile de concilier diversité et efficacité, on ne doit pas, selon le principe fédératif, sacrifier la diversité au nom de l'efficacité.

A ce propos, j’ajouterai qu’au delà du principe fédéral, dans les fédérations multinationales, c’est le principe de la diversité culturelle, pris dans son sens large, qui est aussi en jeu. À cet égard, il faudrait parler d'un troisième déficit : le déficit culturel et identitaire. C’est la situation que vit le peuple québécois, comme tous les autres peuples qui voient nié leurs droits et leurs besoins de participer au concert des nations. L’exemple du Québec, au sein de la fédération canadienne, est assez désolant. Voilà un pays multinational dont l’une des nations, composée de sept millions de personnes, se voit refuser la reconnaissance constitutionnelle de sa réalité nationale distincte. On empêche même cet État national de prendre en charge sur la scène internationale les questions qui sont de sa juridiction exclusive et celles qui sont liées à sa personnalité culturelle. Seul État francophone en Amérique du Nord, entouré par 300 millions d’anglophones (juridiction de tradition civiliste dans un univers de common law), le Québec a le droit et le devoir d’exprimer, par la voix de ses institutions démocratiques, son point de vue souvent unique et les autres nations ont le droit de l’entendre.

Tout cela dit, une conclusion s’impose si l’on veut vraiment présenter le fédéralisme comme un modèle de gouvernance pour le 21e siècle. Tous les États du monde, unitaires, fédéraux et fédérés, sont concernés par les enjeux de la mondialisation et l’établissement du droit international d’aujourd’hui et de demain. Dans ce contexte, les fédérations doivent accepter de revoir leurs pratiques pour adopter la conception moderne qui veut que les États fédérés, et encore plus les états fédérés à caractère national comme le Québec, agissent librement sur la scène internationale dans leur champ de compétence constitutionnelle et que les politiques centrales des affaires étrangères soient conçues avec la participation et l’accord des États fédérés.

Je vous remercie.