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Ottawa, Ontario, 15 janvier 2018 À l'occasion de la conférence-midi du Laboratoire d’études et de recherches sur la politique canadienne

La version prononcée fait foi.

Monsieur Lecours,

J’aimerais vous remercier pour votre accueil et pour votre invitation à participer à cette conférence-midi du Laboratoire d’études et de recherches sur la politique canadienne.

J’aimerais aussi remercier chacun d’entre vous pour votre présence et votre intérêt envers notre Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes.

Cette Politique, intitulée Québécois, notre façon d’être canadiens, constitue la réflexion du Québec sur notre histoire commune. Il s’agit d’abord et avant tout des propositions du Québec pour le futur de notre fédération. Il s’agit aussi de dépeindre le cadre de notre adhésion à la fédération canadienne et d’y présenter le sens de notre implication future.

Je suis ici aujourd’hui, certes pour présenter brièvement la Politique, mais aussi et surtout pour vous écouter afin de recueillir vos commentaires, critiques et suggestions.

Commençons par dire que cette Politique déborde largement le cadre constitutionnel.

C’est une politique qui vise principalement à ouvrir le dialogue et se rapprocher, et ce, tout en conservant nos particularités propres.

C’est donc tout le contraire d’un appel à la crise constitutionnelle.

C’est une politique de vivre-ensemble. L’objectif est simple : mieux se connaître pour mieux se reconnaître.

Nous voulons ainsi mieux faire connaître le Québec et aussi mieux connaître l’Ontario, l’ouest, l’est et le nord de notre pays.

Nous voulons un dialogue, pas un monologue.

Un dialogue sur notre avenir commun, sur l’environnement, sur l’économie, sur l’entraide sociale et sur les défis autochtones.

Il n’y a présentement pas d’appétit pour la crise constitutionnelle, mais il y a un appétit pour le rapprochement.

J’ai eu la chance de visiter plusieurs universités au Québec, ici en Ontario, en Saskatchewan, en Alberta, à Terre-Neuve-et-Labrador… et dans tous ces endroits, j’ai vu un intérêt pour le dialogue.

Le professeur John Whyte, qui m’a récemment accueilli lors d’une activité de dialogue à l’Université de Régina, a rédigé récemment un texte d’opinion sur la Politique qui se terminait ainsi:

« (…) adopting ideas that preserve Quebec’s distinctiveness will not likely weaken Canada (…). [adopter des idées qui préservent le caractère distinct du Québec n’affaiblira probablement pas le Canada ]

Canada needs to have the courage to explore the structures and rules of relationship that will build confidence in all the parts and regions of this complex nation that their situation is recognized. [Le Canada doit avoir le courage d’explorer les structures et les règles régissant nos relations qui permettront de bâtir la confiance de toutes les régions de cette nation complexe que leurs particularités seront reconnues.] »

Je suis aussi allé à l’Université Queen’s pour une conversation d’une journée sur les modes d’application de notre proposition.

L’ancien premier ministre de l’Ontario Bob Rae a alors dit:

« it is a good idea to reopen the conversation. (…) [c’est une bonne idée de rouvrir le dialogue]

The Constitution is about how we live together as Canadians. And that's a conversation none of us wants to shut down. [La Constitution concerne notre façon de vivre ensemble comme Canadiens. Et c’est une conversation que personne d’entre nous ne veut clore. ] »

Toujours lors de cet événement à Queen’s, le professeur Peter Russell a dit, et je cite :

« The important news in the Quebec Government’s invitation to dialogue with Canadians is the vision of Quebec as a jurisdiction that is not just the homeland of French Canada but a nation within Canada that cherishes its deep diversity [L’invitation du Gouvernement du Québec à dialoguer avec les Canadiens porte une importante nouvelle quant à sa vision d’un Québec qui forme non seulement la patrie du Canada français, mais également une nation à l’intérieur du Canada qui valorise sa diversité profonde.] ».

Nous sommes persuadés que grâce à un dialogue franc et respectueux, ouvert à la perspective québécoise, mais aussi aux autres perspectives canadiennes, nous pourrons nous rapprocher et rendre le Canada plus fort.

Pour le Québec, le Canada n’est pas un État mono-national ou un État post-national.

Le Canada est un État plurinational.

Il l’a toujours été.

Encore aujourd’hui, cette interprétation québécoise de notre fédération demeure.

Dans notre quête d’une reconnaissance officielle, nous ne sommes pas seuls. La place des peuples autochtones dans notre fédération serait bien différente si le Canada devait être fondé aujourd’hui.

Nous croyons sincèrement que la reconnaissance et l’acceptation des appartenances collectives particulières, notamment celles des Québécois et des peuples autochtones, est la seule voie menant à une appartenance collective commune au Canada.

La Nation québécoise est inclusive.

La Politique la définit comme étant composée d’une majorité francophone, d’une communauté historique et dynamique d’expression anglaise et de onze nations autochtones réparties à travers le Québec. La Nation québécoise est aussi forte d’une grande diversité culturelle.

Nous cherchons à renforcer le sentiment d’appartenance au Québec de chaque membre et de chaque groupe de notre société.

Nous savons que pour accomplir cet objectif d’inclusion, nous avons encore beaucoup de travail à faire. Mais nous savons aussi que le rapprochement des différentes appartenances collectives est le seul moyen d’y arriver.

Cette volonté d’inclusion au Québec de notre diversité est aussi ce que les Québécois attendent du Canada.

Notre allégeance à la Nation québécoise est réelle et forte. Par ailleurs, pour la majorité des Québécois - 75% - cette allégeance se conjugue aussi avec une appartenance canadienne.

Devons-nous choisir entre être Québécois et être Canadiens?

Nous sommes les deux.
Nous voulons être les deux.

Nous pouvons ainsi offrir au monde un modèle, un fédéralisme qui donne sa place à la diversité collective et sait reconnaître les appartenances plurielles.

Cette vision s’inscrit dans l’histoire, mais aussi dans un courant de pensée politique qui voit, dans le fédéralisme, un mode optimal pour gérer la coexistence de différentes communautés au sein d’un seul État.

Peter Russel de l’Université de Toronto, dans son plus récent livre Canada’s Odyssey – A country based on incomplete conquests, écrit ceci :

« Multinational, multicultural Canada might offer more useful guidance for what lies ahead of the peoples of this planet than the tidy model of the single-nation sovereign state. (…) [Un Canada multinational, multiculturel, pourrait mieux guider l’avenir des peuples du monde que ne le ferait le modèle traditionnel de l’État-nation. ]

Canada could replace empire and Nation Sate as the most attractive model in the twenty-first century. [Le Canada pourrait remplacer l’empire et l’État-nation comme modèle le plus attractif pour le vingt-et-unième siècle.] »

Dans un monde inquiet, tenté par l’isolement et le repli identitaire, les Québécois et tous les Canadiens, animés par une vision inclusive de l’humanité, ont l’occasion de se retrouver pour partager et réaliser l’ambition de rapprocher leurs appartenances plurielles plutôt que de les opposer.

Face aux défis mondiaux que posent la croissance du phénomène migratoire, la délocalisation économique et la montée des inégalités, les Québécois et les Canadiens peuvent ensemble offrir au monde le début d’une réponse sur le vivre-ensemble, en faisant le choix des appartenances plurielles et de la diversité collective reconnue et acceptée.

Il s’agit à la fois d’un défi imposant et d’un projet stimulant.

Un projet pour tous les Québécois et pour tous les Canadiens.

Les gouvernements doivent bien sûr prendre activement part à ce dialogue. Mais tous les acteurs politiques et ceux de la société civile doivent aussi y participer.

L’avenir du pays appartient à l’ensemble des Canadiennes et des Canadiens. 

Ma présence ici aujourd’hui est une illustration de cette volonté de rejoindre et de mobiliser les membres de la société civile.

Le dialogue entre tous les citoyens et groupes de notre pays est fondamental si l’on veut s’entendre sur la manière de concevoir le fédéralisme canadien de demain, et le faire évoluer ensemble.

Le Politologue de l’Université de l’Alberta, Frédéric Boily, mentionnait récemment qu’il existait de nombreuses études comparant le Canada et les États-Unis, mais qu’il en existait peu comparant les provinces entre elles.

Il concluait alors que les Canadiens ne se connaissent pas très bien entre eux. Cette lacune, le Québec espère la combler.

Lorsque les Premières Nations et les Inuits partagent avec nous leurs aspirations, est-ce que nous nous arrêtons pour les écouter et les comprendre?

Lorsque les provinces de l’Ouest expriment leur sentiment d’aliénation, est-ce que nous les entendons? Est-ce que nous les comprenons? Est-ce que nous essayons du moins?

Lorsque les Québécois expriment leur sentiment de ne pas être complètement acceptés et reconnus au sein de la fédération, qui tente de les comprendre?

Et je sais que vous avez aussi en tête d’autres réalités canadiennes qui méritent une oreille attentive et une réponse.

Sommes-nous prêts à reconnaître ces réalités et à tenter de les comprendre?

Le dialogue est le premier outil à notre disposition pour ce faire. Il y a une place au dialogue, pas seulement pour ou sur le Québec.

Nous avons chacun une histoire à raconter. Surtout, nous avons tous une histoire commune à écrire ensemble.

Toutes ces histoires peuvent s’intégrer harmonieusement dans la trame commune canadienne.

C’est ce que notre Politique propose : écouter, comprendre, et mettre en place des mécanismes et des espaces pour ce faire.

On a souvent présenté nos relations Québec-Canada comme celles de deux solitudes.

Pourtant, les relations que nous avons, Québécois et Canadiens, sont nombreuses, diversifiées et bien enracinées.

Elles se sont tissées au fil du temps et elles racontent une histoire qui contraste avec le récit des conflits politiques et constitutionnels qui ont jalonné les relations gouvernementales entre le Québec et le Canada.

Elles racontent des milliers d’interactions qui se font tous les jours dans le milieu des affaires au fil des échanges commerciaux, dans les organisations caritatives, à travers les organisations syndicales et les mouvements de solidarité, dans la lutte contre les changements climatiques, par tous ces Québécois qui voyagent ou vont vivre ailleurs au Canada ainsi que par tous ces autres Canadiens qui viennent découvrir le Québec ou choisissent de s’y établir.

En 2015, il y avait plus de 13 000 étudiants canadiens de l’extérieur du Québec inscrits dans des universités québécoises, et qui entraient donc en relation avec des étudiants du Québec.

Ce sont ces jeunes, et ceux de tout le Canada, qui vont faire le 21e siècle dont parle Peter Russell.

Peut-être faut-il voir dans ces nouvelles interrelations la source d’une nouvelle solidarité.

En effet, tout récemment, le 10 mai 2017, l’Union étudiante du Québec et l’Alliance canadienne des associations étudiantes ont signé une entente de partenariat visant à unir leurs efforts pour que les étudiants dont ils défendent les intérêts soient mieux représentés auprès du gouvernement fédéral.

Par ailleurs, on ne parle pas assez des importantes solidarités économiques qui existent entre nous.

Laissez-moi vous parler un peu plus de la relation privilégiée que le Québec et l’Ontario entretiennent au sein de notre fédération.

Chaque année, le Québec exporte pour $40 milliards de biens et services en Ontario et il importe pour $43 milliards en retour. C’est donc un flux commercial de plus de $80 milliards qui circule entre nos deux provinces – c’est une somme colossale.

Nous échangeons 3 fois plus de biens chaque année avec l’Ontario qu’avec la Chine! En fait, les économies combinées du Québec et de l’Ontario représentent la 4e économie de l’Amérique du Nord après celles de la Californie, du Texas et de New York.

Chaque jour, des milliers de Québécois et d’Ontariens collaborent, échangent, discutent et travaillent ainsi ensemble.

Les relations commerciales entre nos provinces témoignent de relations humaines qui dépassent largement la seule sphère économique.

Le Québec tire une part importante de sa force de l’Ontario ; l’Ontario tire une part importante de sa force du Québec. Et c’est en combinant nos forces que nous nous surpassons.

Les relations entre le Québec et l’Ontario connaissent un nouvel essor depuis quelques années  –  les  accords de collaboration et les partenariats se multiplient; dans les domaines de l’environnement, de l’hydroélectricité et de l’intelligence artificielle.

Par l’intermédiaire d’ententes novatrices, sans tambour ni trompette, nous préparons l’économie de demain.

Jamais nos deux provinces n’ont été aussi proches.

Nous voulons multiplier ces exemples de coopération.

Notre Politique marque un changement. Elle reconnait que les modifications constitutionnelles ne seront possibles que lorsque les Québécois et les autres Canadiens se seront davantage rapprochés.

Nous sommes convaincus qu’avec le temps, quand nous aurons appris à mieux nous connaître, nous serons en mesure de mieux nous reconnaître.

Et un jour, lorsque nous nous rencontrerons à nouveau pour discuter de la Constitution, nous ne serons pas assis chacun de notre côté de la table à nous entredéchirer.

Nous serons tous assis ensemble, du même côté de cette table.

Permettez-moi maintenant de dire quelques mots sur la langue. Et d’en parler aussi en anglais.

Cela peut paraître paradoxal. Mais il importe que les francophones et francophiles du Canada s’adressent de plus en plus aux Canadiens qui ne parlent pas le français pour leur dire à quel point la connaissance de cette langue est une richesse pour eux également; pour l’ensemble des citoyens de notre pays.

Nous sommes 10,5 millions de francophones et francophiles au Canada.

Dans le monde, nous sommes présentement 275 millions et en 2050, nous serons 700 millions.

Le Canada détient un avantage comparatif que peu de pays partagent. Il a une fenêtre sur le monde anglophone et une fenêtre sur le monde francophone.

Il est de l’intérêt de tous les Canadiens, anglophones et francophones, de bénéficier des avantages économiques, sociaux, culturels, environnementaux et diplomatiques découlant de ces fenêtres.

Ouvrons toutes grandes ces fenêtres!

We are nearly 10.5 million Francophones and Francophiles in Canada [Nous sommes près de 10,5 millions de francophones et de francophiles au Canada.]

In the world, there are currently close to 275 million French speakers; In 2050, there will be 700 million [Dans le monde, nous sommes près de 275 millions de francophones et en 2050, nous serons 700 millions.]

Canada has an advantage that few countries share. It possesses a window on the English-speaking world and a window on the French-speaking world. [Le Canada détient un avantage comparatif que peu de pays partagent. Il a une fenêtre sur le monde anglophone et une fenêtre sur le monde francophone.]

 It is in the interest of all Canadians, anglophones and francophones alike, to benefit from the economic, social, cultural, environmental and diplomatic advantages resulting from these windows. [Il est de l’intérêt de tous les Canadiens, anglophones et francophones de bénéficier des avantages économiques, sociaux, culturels, environnementaux et diplomatiques découlant de ces fenêtres.]

Let us open wide those windows. [Ouvrons ensemble ces fenêtres!]

Official languages of Canada should be seen as a bridge that unites us, not a gap that divides us. [Les langues officielles du Canada devraient être vues comme un pont qui nous unit plutôt qu’un fossé qui nous sépare.]

Les langues officielles du Canada devraient être vues comme un pont qui nous unit plutôt qu’un fossé qui nous sépare.

D’ailleurs, depuis 1961, le nombre de personnes bilingues au Canada n’a jamais cessé de croître.

Le taux de bilinguisme est passé de 12,2% à 18%.

C’est un progrès, c’est même un nouveau sommet pour le bilinguisme français-anglais dans l’histoire canadienne, mais ce n’est qu’une étape.

Nous devons poursuivre sur cette lancée, notamment en favorisant l’apprentissage du français au pays.

Pourquoi ne pas se donner l’objectif que, d’ici 10 ans, tous les étudiants universitaires du Canada soient bilingues au terme de leur formation?

Le monde va dans cette direction.

Saviez-vous qu’un peu plus de 50% des citoyens des États membres de l’Union européenne parlent au moins une autre langue étrangère en plus de leur langue maternelle?

Le Président Macron, récemment, dans un discours à la Sorbonne, a fixé l’objectif que d’ici 2024, chaque étudiant français parle deux langues européennes.

Soyons nous aussi ambitieux!

Le présent siècle sera multinational et multilingue. Le Canada sera-t-il à la traîne des autres, ou devant les autres?

La réponse à cette question vous appartient.

Le Canada, ce n’est pas ses gouvernements, ses leaders syndicaux ni même ses médias. Le Canada, c’est vous.

Voilà, maintenant vous savez que notre politique déborde largement le seul cadre constitutionnel.

Avant de demander aux avocats d’écrire un texte légal, un règlement, une loi ou des clauses constitutionnelles, il faut avoir une idée de l’objectif du texte à écrire et il faut que cet objectif soit compris et partagé.

Impossible d’y arriver sans se rapprocher, se parler, se connaître et se comprendre.

Je crois assez en la force de nos relations et des solidarités que nous avons bâties depuis plus de 150 ans pour participer à ce dialogue sur notre avenir.

Ceux qui n’y voient que le risque de crise doivent être convaincus que les progrès du passé nous permettent d’envisager un avenir commun offrant une meilleure place à chacun.

Le premier élément de notre politique, c’est de dire que nous croyons cet avenir inclusif possible et que nous voulons y travailler.

Il m’apparaissait important de venir à l’Université d’Ottawa pour vous rencontrer et vous présenter la Politique d’affirmation du Québec et de relations canadiennes;

Pour vous dire que ce projet pourrait aussi être le vôtre.

Je souhaite vous inviter à prendre part à ce dialogue.

Comment?

Collaborez avec vos homologues du Québec, que ce soit dans des projets de recherche, des colloques, des échanges d’étudiants.

Mettez en place des activités de rapprochement, des forums d’échange.

Nous préparons un plan d’action qui comprendra des mesures concrètes pour soutenir de telles initiatives.

Prenez la plume, levez le tabou constitutionnel qui s’est installé depuis trop longtemps.

Réinvestissez les milieux intellectuels, politiques, économiques, les journaux, les réseaux sociaux!

Le Canada à poursuivre, c’est un Canada où il y a une place pour tous.

Pour les Québécois et les peuples autochtones;
Pour les nouveaux Canadiens et ceux dont les ancêtres sont nés ici.

Ensemble, nous pouvons construire le Canada de demain.

Du Québec, je vous dis : nous pouvons et nous voulons le faire.

Nous sommes Québécois et c’est notre façon d’être Canadiens.

De l’Ontario, que répondez-vous?

Merci beaucoup.