La version prononcée fait foi.
Seul le texte prononcé fait foi
Le 9 juin 1980, quelques jours après que les Québécoises et les Québécois se soient prononcés sur leur avenir pour la première fois de leur histoire dans le cadre d'un référendum, le premier ministre du Québec, René Lévesque, s'adressant à ses homologues du Canada, en tirait la conclusion suivante:
La reconnaissance manifeste [du droit à l'autodétermination] est l'acquis le plus précieux du référendum québécois. Quel qu'en ait été le résultat, il est maintenant incontesté et incontestable que le Québec constitue une communauté nationale distincte qui peut choisir elle-même, sans intervention extérieure, son statut constitutionnel. Les Québécois peuvent décider de rester dans le fédéralisme canadien, comme ils peuvent décider démocratiquement d'en sortir s'ils jugent que ce système ne correspond plus à leurs aspirations et à leurs besoins. Ce droit de contrôler soi-même son destin national est le droit le plus fondamental que possède la collectivité québécoise1.
Le peuple québécois a eu l'occasion de se prononcer sur son avenir à l'occasion de deux autres référendums depuis 1980. D'abord en 1992, relativement à l'Entente de Charlottetown. À l'occasion de cette consultation, il est bon de rappeler que le gouvernement libéral de l'époque avait exigé que celle-ci se tienne en vertu de la Loi québécoise sur la consultation populaire, « réaffirmant ainsi [selon les termes de la résolution alors adoptée par l'Assemblée nationale] le droit des Québécoises et des Québécois d'assumer librement leur propre destin et de déterminer seuls leur statut politique et constitutionnel. »2
Le troisième et dernier référendum fut celui de 1995 où, pour une seconde fois, on soumettait à la consultation populaire la question de l'accession du Québec à la souveraineté. La démarche proposée prévoyait également que cette accession à la souveraineté soit précédée d'une offre formelle au Canada d'un nouveau partenariat économique et politique avec le Québec.
Le gouvernement fédéral a participé activement aux campagnes référendaires associées à chacune de ces consultations, reconnaissant ainsi pleinement leur légitimité. Mais le résultat très serré du référendum de 1995 et le progrès spectaculaire de l'option souverainiste ont, semble-t'il, ébranlé le gouvernement du Canada. Beaucoup de Québécoises et de Québécois ont alors espéré que cette situation amènerait ce dernier à prendre acte de la gravité du malaise constitutionnel vécu par le quart de la population du Canada et à tenir compte, enfin, de la volonté manifeste de changement exprimée par le Québec. Mais le gouvernement du Canada a plutôt choisi de s'engager dans une voie qui consiste à tenter de nier ouvertement, pour la première fois, au peuple québécois le droit de choisir librement son avenir.
C'est ainsi qu'il faut comprendre les propos que tenait le premier ministre fédéral le surlendemain du référendum en promettant qu'il ferait tout pour qu'il n'y ait plus jamais d'autres référendums au Québec : « Le moment est venu de tourner la page sur les référendums à répétition [disait-il, ajoutant sur un ton de menace voilée que] Ce pays a droit à la stabilité politique. Comme premier ministre, je vais m'assurer que nous avons la stabilité politique. »3 Quelques jours plus tard, M. Chrétien devait contester expressément que « le sort d'un pays de 30 millions d'habitants soit entre les mains de deux millions et demi de personnes. »4 Autrement dit, l'avenir du peuple québécois ne devait plus, ultimement, reposer entre les mains des Québécoises et des Québécois, mais plutôt entre celles d'Ottawa et du reste du Canada. C'est en raison de cette attitude nouvelle du gouvernement du Canada que nous sommes tous réunis aujourd'hui.
Les événements qui se sont déroulés depuis1995 ont permis de bien cerner l'objectif poursuivi par le gouvernement du Canada : se donner un droit de veto en ce qui concerne l'avenir du Québec.
Il a d'abord cru y parvenir en s'adressant à la Cour suprême et en invoquant l'application de la formule d'amendement de la Loi constitutionnelle de 1982 que le Québec n'a pourtant jamais reconnue. Le gouvernement du Québec, pour sa part, a pris la décision de ne pas participer au renvoi fédéral, jugeant que la question de l'accession du Québec à la souveraineté était d'abord et avant tout une question d'ordre politique.
De par l'opinion qu'elle a rendue le 20 août 1998, la Cour suprême a fait preuve de plus de sagesse que le gouvernement fédéral. La Cour a refusé de suivre la logique étroite dans laquelle le gouvernement fédéral tentait de l'enfermer. Car quoi qu'il advienne, les Québécois et les Canadiens continueront de vivre côte à côte et il est dans l'intérêt de ces deux peuples que l'un d'eux ne puisse pas forcer l'autre à rester contre son gré au sein du Canada. Voilà pourquoi la Cour suprême n'a pas donné au gouvernement du Canada le droit de veto qu'il recherchait. Voilà pourquoi la Cour suprême, au lieu de se limiter à appliquer la formule d'amendement de 1982, s'est plutôt fondée sur les principes et les valeurs qui sont à la base de l'organisation de la société québécoise et de la société canadienne pour rappeler, comme au paragraphe 88 de son avis, que « [l]e rejet clairement exprimé par le peuple du Québec de l'ordre constitutionnel existant conférerait clairement légitimité aux revendications sécessionnistes, et imposerait aux autres provinces et au gouvernement fédéral l'obligation de prendre en considération et de respecter cette expression de la volonté démocratique en engageant des négociations et en les poursuivant en conformité avec les principes constitutionnels sous-jacents ».5
S'adressant plus spécifiquement aux arguments avancés par le gouvernement fédéral, la Cour a indiqué on ne peut plus explicitement au paragraphe 92 de son avis que « [l]es droits des autres provinces et du gouvernement fédéral ne peuvent retirer au gouvernement du Québec le droit de chercher à réaliser la sécession, si une majorité claire de la population du Québec choisissait cette voie ».6 Quant à la notion de majorité claire, la Cour a bien précisé, au paragraphe 87, qu'il fallait l'entendre au sens qualitatif du terme; nulle part dans son avis ne remet-elle en cause la règle démocratique universellement reconnue du 50% + 1 .
S'étant vu refuser le droit de veto qu'il souhaitait par la Cour suprême, le gouvernement fédéral a donc décidé de se l'octroyer lui-même au moyen d'un projet de loi C-20, appelé trompeusement Loi sur la clarté, tout à fait contraire à l'esprit et à la lettre de l'avis de la Cour suprême. Rien dans l'avis de la Cour suprême ne suggère qu'il faille fixer dans une loi des critères juridiques concernant la clarté de la question et de la majorité d'un éventuel référendum. En fait, dans l'esprit de la Cour, l'encadrement juridique de ces questions, pour autant qu'un tel exercice soit possible, se retrouve dans son avis, le reste est politique.
Le principal objectif poursuivi par le gouvernement fédéral avec son projet de loi C-20 est de se soustraire à l'obligation imposée par la Cour suprême de négocier de bonne foi au lendemain d'un référendum favorable à la souveraineté, en conférant au Parlement fédéral, dont les trois quarts des députés proviennent de l'extérieur du Québec, un droit de veto sur les décisions du peuple québécois concernant l'avenir du Québec. Ceci revient à nier à ce peuple le droit d'assumer librement son propre destin et de déterminer seul son statut politique et constitutionnel. Voyons brièvement comment le gouvernement fédéral s'y prend.
Tout d'abord, sous prétexte de clarté, le Parlement canadien aurait, en vertu du projet de loi C-20, le droit de déclarer irrecevable la question référendaire et ce, avant même que l'Assemblée nationale ait fini d'en débattre.
Selon les « critères » qu'Ottawa cherche à lui imposer, le Québec n'aurait plus le droit de proposer, par référendum, un nouveau partenariat entre le Québec et le Canada fondé sur la souveraineté et l'égalité politique des peuples. Autrement dit, ce n'est plus l'Assemblée nationale mais le Parlement fédéral qui, en bout de ligne, déterminerait le projet à être soumis au peuple québécois. Rien dans l'avis de la Cour suprême ne permet de soutenir une telle proposition, qui, du reste, est absurde : le peuple québécois aurait le droit de choisir de devenir souverain, mais n'aurait pas le droit d'opter pour une formule proposant un partenariat au reste du Canada.
L'autre instrument que privilégie le projet de loi fédéral pour assurer le contrôle d'Ottawa sur l'avenir du Québec, consiste à tenter de remettre en question la règle démocratique universellement reconnue, notamment par l'ONU, celle de la majorité absolue, soit 50% + 1 voix; la seule règle qui puisse assurer l'égalité des votes et, par conséquent, l'égalité des électeurs. Le gouvernement fédéral sait que tout autre seuil de majorité serait totalement arbitraire : c'est pourquoi il se garde bien d'en proposer un dans sa loi. Non, il se réserve plutôt le pouvoir de décréter unilatéralement, après le résultat du référendum, le pourcentage que le OUI devait atteindre pour l'emporter. Le Parlement fédéral se verrait donc conférer le droit de répudier la décision démocratique de plus de cinq millions d'électeurs québécois. Pourtant, rien dans l'avis de la Cour suprême ne remet en cause la règle démocratique du 50% + 1.
Et comme si cela n'était pas suffisant pour atteindre ses fins, le gouvernement fédéral cherche, dans sa loi, à soulever un doute sur l'intégrité territoriale du Québec en stipulant que la « modification des frontières » du Québec serait un enjeu de négociation. Encore une fois, on ne retrouve nulle part de tels termes dans l'avis de la Cour suprême. Au contraire, de nombreux passages de l'avis concourent au maintien de l'intégrité territoriale du Québec si celui-ci devait choisir la souveraineté. Ainsi en est-il, lorsque la Cour prend le soin de préciser au paragraphe 83 que « [d]ans le cas d'un état fédéral, la sécession signifie normalement le détachement d'une entité territoriale de la fédération. »7 Au Canada, la sécession veut donc dire le détachement d'une province et non le détachement d'une simple partie de celle-ci, nous dit la Cour.
La nouvelle attitude du gouvernement du Canada depuis 1995, qui consiste à chercher, par tous les moyens, à nier au Québec le droit de choisir librement son avenir, a atteint, avec le projet de loi fédéral C-20, un sommet qui, il y a à peine quelques années, était inimaginable. Devant ce qui constitue une menace très sérieuse à tout ce pourquoi nous, hommes et femmes du Québec, fédéralistes comme souverainistes, avons consacré tant d'énergie, en particulier dans les quarante dernières années, nous avons le devoir de réagir fermement. Car, sachons-le bien, ce qui est en cause aujourd'hui, ce n'est pas le choix d'un avenir en particulier, mais bien le droit fondamental de tous les Québécoises et de tous les Québécois de choisir leur avenir. Voilà pourquoi le gouvernement du Québec a déposé le projet de loi sur lequel nous allons maintenant nous pencher, qui réaffirme solennellement les droits fondamentaux du peuple québécois quant à son avenir politique, de même que les responsabilités qui en découlent pour l'État québécois et l'Assemblée nationale.
Ainsi, les articles 1 et 2 du projet de loi québécois réaffirment clairement que le peuple québécois a le droit de disposer seul et librement de lui-même, ce qui inclut le droit de choisir le régime politique et le statut politique du Québec.
L'article 3 réitère que l'exercice de ce droit fondamental ne peut se faire que par l'entremise des institutions politiques propres à ce peuple, à savoir le gouvernement du Québec et l'Assemblée nationale.
L'article 4 du projet de loi précise que la règle de majorité de 50 % des votes exprimés plus un, universellement reconnue et appliquée, est celle qui continuera de prévaloir dans l'interprétation des résultats de tout référendum tenu en vertu de Loi sur la consultation populaire par lequel le peuple québécois exercera son droit de disposer de lui-même, comme ce fut le cas en 1980, en 1992 et en 1995, avec la participation active du gouvernement fédéral, d'ailleurs.
Les articles 5 et 6 réaffirment le fondement de la légitimité de l'État du Québec et sa souveraineté dans tous ses domaines de compétence. Même si cela devrait aller de soi, ce rappel s'avère nécessaire devant les envahissements répétés du gouvernement fédéral dans les champs de compétence du Québec. Favorisé au détriment des provinces par un déséquilibre fiscal et financier sans précédent, Ottawa a perdu tout sens de la retenue; on l'a vu avec le dossier des bourses du millénaire et maintenant, sous le couvert d'une entente sur l'union sociale que le Québec n'a pas signée, on nous promet la même « créativité », à coup de milliards de nos impôts, dans le domaine des soins à domicile et ce, alors que les salles d'urgence de tout le Canada sont débordées en raison des coupures unilatérales de ce même gouvernement fédéral.
L'attitude d'Ottawa sur la scène internationale n'est pas différente; ici, tous les prétextes sont bons pour rapetisser le Québec et mettre des bâtons dans les roues de ses représentants à l'étranger. C'est pourquoi l'article 7 du projet de loi réitère haut et fort la capacité de l'État du Québec d'adhérer à tout traité, convention ou entente internationale qui relève de ses compétences constitutionnelles et rappelle qu'aucun traité, convention, entente ou loi ne peut lier celui-ci dans ses domaines de compétence à moins qu'il n'y adhère formellement par la voix de l'Assemblée nationale ou du gouvernement du Québec.
Les articles 8 et 9 du projet de loi réitèrent, quant à eux, que le territoire du Québec et ses frontières actuelles ne peuvent être modifiés qu'avec le consentement de l'Assemblée nationale et du gouvernement du Québec. De plus, le projet de loi enjoint au gouvernement de veiller au maintien et au respect de l'intégrité du territoire québécois. Le projet réaffirme aussi la capacité de l'État du Québec d'exercer, sur ce territoire, tous les pouvoirs liés à sa compétence et au domaine public québécois.
Enfin, l'article 10 déclare que l'État du Québec et l'Assemblée nationale, lorsqu'il est question du droit fondamental du peuple québécois à disposer de lui-même, ne peuvent agir que dans le cadre des lois de l'Assemblée nationale. Autrement dit, aucun autre Parlement ou gouvernement ne peut ni ne pourra réduire ou porter atteinte aux pouvoirs, à l'autorité, à la souveraineté et à la légitimité de l'Assemblée nationale.
Le projet de loi n° 99 est beaucoup plus qu'une simple réponse au projet de loi fédéral. Par le projet de loi n° 99,l'Assemblée nationale est appelée à réaffirmer de façon solennelle les principes politiques et juridiques qui constituent les assises mêmes de la société et de la démocratie québécoises. Plusieurs de ces principes ont déjà été exprimés, notamment par le biais de résolutions de l'Assemblée nationale, mais pour la première fois de notre histoire, ils sont rassemblés dans un seul texte, une loi qui se veut fondamentale. C'est en raison du caractère extraordinaire de cette loi que nous faisons appel aujourd'hui à la contribution de la société civile et de la population québécoise afin que nous puissions ensemble enrichir ce texte, qui, en définitive, doit nous rassembler autour du droit de décider nous-mêmes de notre avenir politique.
Merci
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1 Notes pour une intervention de M. René Lévesqueà la rencontre des premiers ministres à Ottawa le 9 juin1980, reproduite dans : Québec, Ministère des Affaires intergouvernementales, Commission de la présidence du conseil et de la consultation, Dossier sur les discussions constitutionnelles,14-15 août 1980.
2 Québec, Assemblée nationale, Procès-verbaux,no 167 (27 novembre 1991), p. 1667.
3 Chantal Hébert, « Chrétien : il faut mettre fin à ce jeu-là », 2 novembre 1995, dans La Presse, p. A1
4 Presse canadienne, « Chrétien fera tout pour empêcher la tenue rapide d'un autre référendum », 10 novembre 1995, dans Le Devoir, p. A5, dans Le Soleil, p. A8, dans le Journal de Québec, p. 11.
5 Renvoi relatif à la sécession du Québec[1998] 2 R.C.S. 217, par. 88.
6 Ibid., par. 92.
7 Ibid., par. 83.