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Ottawa, Ontario, le 7 juin 2004 Une certaine vision pour le Canada

La version prononcée fait foi.

Allocution prononcée par monsieur Benoît Pelletier, ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et aux Affaires autochtones dans le cadre d’un déjeuner-causerie organisé par le Forum des politiques publiques

Mesdames et Messieurs,
J’ai le grand plaisir d’être parmi vous, aujourd’hui, à l’initiative du Forum des politiques publiques, afin de vous parler de notre vision du fédéralisme et des relations intergouvernementales au Canada.

Dès son arrivée au pouvoir, il y a maintenant un peu plus d’un an, le nouveau gouvernement du Québec s’est résolument engagé en faveur d’une revitalisation du fédéralisme canadien. Pour ce faire, il a misé sur ses partenaires fédératifs afin que naisse une nouvelle synergie au pays, fondée sur la compréhension et le respect mutuel, l’esprit d’ouverture et la recherche de compromis, lorsque cela est évidemment possible et souhaitable.

J’ai été particulièrement heureux de voir que, l’hiver dernier, ces partenaires ont su franchir une première étape vers l’instauration d’une nouvelle ère en ce qui a trait à leurs rapports. En effet, le 5 décembre dernier, à Charlottetown, les provinces et les territoires ont donné naissance au Conseil de la fédération.

Formé des premiers ministres des provinces et des territoires, le Conseil de la fédération constitue un instrument permanent de consensus et de solidarité visant à donner un nouveau dynamisme aux relations intergouvernementales. Cette nouvelle instance favorisera l’échange d’information et de points de vue, la mise en commun d’expériences et d’expertises, la conclusion d’ententes de coopération et, à long terme, l’instauration d’un système fédératif plus constructif.

Le Conseil pourra également permettre un meilleur positionnement des provinces et des territoires quant à leurs rapports avec le gouvernement fédéral, concernant des dossiers d’intérêt commun. Chercher à rétablir davantage d’équilibre en ce qui touche nos relations intergouvernementales ne vise pas à provoquer des affrontements stériles avec le gouvernement fédéral, mais bien
plutôt à améliorer nos rapports.

Le Conseil met clairement en doute l’idée selon laquelle un seul ordre de gouvernement serait apte à agir comme architecte du projet canadien et à définir une vision d’avenir pour ce pays. Le Conseil doit permettre aux provinces et aux territoires de reprendre le leadership dans leurs propres champs de compétence et de faire valoir leur point de vue sur des matières intéressant les deux ordres
de gouvernement.

Si une étape importante a bel et bien été franchie par la mise sur pied du Conseil, il ne faudrait toutefois pas y voir une réponse à tous les défis existant au sein de la fédération canadienne. En effet, pour s’assurer de la revitalisation et d’une saine évolution de notre fédéralisme, d’autres changements seront aussi nécessaires.

Dans sa définition même, la formule fédérale implique l’existence de deux ordres de gouvernement, chacun étant souverain dans ses champs de compétence. Elle a donc pour corollaire un partage des compétences qui doit être équilibré et encadré par des règles claires qui s’imposent aux deux parties et qu’aucune ne peut modifier à sa guise.

Force est d’admettre qu’il existe actuellement au Canada un déséquilibre important en ce qui a trait aux pouvoirs concrets qu’exercent respectivement les deux ordres de gouvernement. Outre le fait que les compétences fédérales incluent les pouvoirs résiduel et déclaratoire, ce déséquilibre trouve en bonne partie sa source dans l’interprétation donnée par la Cour suprême quant au partage des compétences qui favorise une expansion préoccupante des diverses compétences fédérales, en particulier en matière d’échanges et de commerce, ainsi que de droit criminel, et par rapport au principe des « dimensions nationales ».

Ce déséquilibre s’explique aussi par des développements que n’avaient pas prévus les rédacteurs de la Constitution canadienne, en 1867, et qui se sont traduits, dans les faits, après l’indépendance du Canada, par un large contrôle fédéral. Ce contrôle s’exerce notamment en matière de conclusion de traités internationaux (y compris dans les domaines de compétence provinciale) et de nomination des juges de la Cour suprême, laquelle cour, depuis l’abolition par le Parlement canadien des appels à Londres, en 1949, a hérité du rôle d’arbitre ultime des contentieux onstitutionnels entre les deux ordres de gouvernement.

Un fédéralisme sain demanderait également que chaque ordre de gouvernement dispose des ressources fiscales lui permettant d’assumer pleinement ses responsabilités, afin qu’aucun ne se trouve en position de dépendance financière par rapport à l’autre.


Or, à l’heure actuelle, un important déséquilibre fiscal caractérise les rapports financiers entre les partenaires de la fédération. Ce problème revêt une dimension urgente au point où les provinces et les territoires ont cru bon de mettre sur pied une instance particulière pour s’y consacrer. Sous l’égide du Conseil de la fédération, on a donc créé le Secrétariat d’information et de coopération sur le déséquilibre fiscal. Au problème du déséquilibre fiscal, se greffent les questions du financement des soins de santé, des transferts fédéraux et de l’iniquité du programme de péréquation actuel. Ce sont des sujets qui font appel à la diligence et à la détermination des provinces et des territoires.


Le déséquilibre fiscal s’articule autour de la capacité du gouvernement fédéral d’accumuler des surplus financiers qui lui permettent d’assumer ses propres responsabilités constitutionnelles, mais aussi de réduire sa dette et d’effectuer des dépenses dans les champs de compétence des provinces, dépenses qui peuvent être assorties de conditions.

Le gouvernement fédéral justifie ces empiètements dans les champs de
compétence des provinces par le fait qu’il disposerait d’un pouvoir de dépenser
non limité par le partage des compétences. Le litige opposant le Québec et le gouvernement fédéral au sujet des congés parentaux nous a par ailleurs donné l’occasion de rappeler, à ce sujet, l’existence et la pertinence de l’avis du Conseil privé de 1937 sur l’assurance-chômage, qui demeure la seule décision de principe sur la question du pouvoir fédéral de dépenser. Le tribunal y a rejeté la prétention du gouvernement fédéral de l’époque voulant que, par son pouvoir d’imposition, il pouvait se constituer un fonds dont il pouvait ensuite disposer sans égard au respect du partage des compétences. Les juges y ont précisé que seul le caractère véritable d’une mesure permettait de juger de sa validité. Le cas des congés parentaux a aussi permis au Procureur général du Québec de souligner l’absence de fondements juridiques derrière une conception du pouvoir fédéral de dépenser qui ne serait pas soumise au partage des compétences.

Rappelons qu’en janvier dernier, la Cour d’appel du Québec a déclaré que les dispositions de la Loi sur l’assurance-emploi portant sur les congés parentaux sont exorbitantes des pouvoirs du Parlement fédéral, ce qui signifie que ces dispositions excèdent la compétence fédérale en matière d’assurance-chômage. La Cour a rappelé que ce domaine relevait de la compétence du Québec en
matière de propriété et de droits civils prévue au paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867.

J’ai personnellement beaucoup de mal à concilier les valeurs qui sont à l’origine de la fédération canadienne avec l’idée d’un pouvoir fédéral de dépenser qui ne soit pas soumis au partage des compétences. Une telle conception me semble aller à l’encontre même de l’esprit fédéral.

Je suis fédéraliste et je pense que l’on ne parle pas assez de fédéralisme au Canada. C’est un mode de gouvernement efficace qui, en plus d’une mise en commun des valeurs et des ressources, préserve la diversité et favorise la participation démocratique en confiant les matières locales aux États fédérés, qui sont plus proches des collectivités. Et c’est précisément là que se trouve le véritable sens du fédéralisme.

Le respect du fédéralisme et du partage des compétences prévu dans la Constitution représente, pour nous, un enjeu particulièrement important en raison de la spécificité du Québec. Mais il constitue également un enjeu important dans une perspective pancanadienne. Il ne faut pas y voir un obstacle ou un quelconque irritant. Les principes fondamentaux de notre fédéralisme méritent autant d’être protégés et mis à l’abri de l’arbitraire que la démocratie ou les droits et libertés de la personne.

Le fédéralisme est régi par des règles claires et efficaces. Le non-respect de ces règles — et du véritable esprit fédéraliste — affaiblit la primauté du droit et dévalorise les normes constitutionnelles. Il importe donc de revaloriser les règles de fonctionnement du fédéralisme et si, à l’usage, on trouve que certaines de ces règles sont d’application difficile ou qu’elles sont devenues désuètes, il faut
songer à les modifier plutôt qu’à les contourner.

La modification des règles peut impliquer des procédures d’amendement constitutionnel. Mais je suis de ceux qui croient qu’en matière intergouvernementale beaucoup peut être fait par des voies non constitutionnelles. Je pense notamment à la conclusion d’ententes administratives, qui doivent évidemment être en harmonie avec les règles plus fondamentales, ou à d’autres avenues, comme la possibilité de procéder à un transfert législatif, ainsi qu’il est prévu à l’article 94 de la Loi onstitutionnelle de 1867.

Rappelons que l’article 94 prévoit que le Parlement du Canada peut adopter certaines lois visant à l’uniformisation de la législation en matière de propriété et de droits civils dans les provinces de common law, donc à l’exception du Québec. Le recours à ce mécanisme est assujetti, dans hacune des provinces concernées, au consentement de celles-ci. L’article 94 se présente donc comme une voie de solution asymétrique qui puisse satisfaire tant le Québec que les autres provinces, dans la mesure où celles-ci pourraient souhaiter un rôle accru du gouvernement fédéral dans certains de leurs domaines de compétence. Je pense notamment à la Loi sur la protection des enseignements personnels et les documents électroniques, à la Loi sur la procréation médicalement assistée et au
régime des congés parentaux.

Bien que présent dans la Constitution depuis 1867, l’article 94 semble avoir été, à ce jour, bien peu exploré, tant chez les auteurs que dans la pratique constitutionnelle canadienne. Peut-être peut-il fournir matière à réflexion au moment où nous envisageons le fédéralisme de demain.

Cela m’amène, en terminant, à dire quelques mots sur le concept d’asymétrie. Plus que simplement compatible avec la formule fédérale, l’asymétrie me semble vivement souhaitable au sein de la fédération canadienne, étant donné tout son potentiel. L’asymétrie pourrait en effet permettre d’aménager les rapports fédératifs en tenant compte des différences entre les provinces et de leurs besoins respectifs. J’irais jusqu’à affirmer que, lorsque l’on considère ses fondements et ses valeurs, l’asymétrie est plus que compatible ou souhaitable, elle est véritablement inhérente au fédéralisme canadien.

Au Québec, nous croyons fermement que la pratique du fédéralisme canadien doit s’exercer dans le respect des provinces. Elle doit être empreinte de souplesse. Le droit à la différence et la richesse que représente la diversité sont des fondements essentiels de notre fédération. Ceux-ci doivent être protégés afin que le fédéralisme canadien continue à remplir les fonctions pour lesquelles il a été jugé, en 1867, comme étant le régime le plus apte à assurer l’épanouissement du pays.

Je vous remercie.