La version prononcée fait foi.
ALLOCUTION DU MINISTRE DÉLÉGUÉ AUX AFFAIRES INTERGOUVERNEMENTALES CANADIENNES ET AUX AFFAIRES AUTOCHTONES, MONSIEUR BENOÎT PELLETIER PRONONCÉE AU CLUB CANADIEN DE TORONTO
Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
J’ai l’intention aujourd’hui de vous faire part, en premier lieu, des orientations du gouvernement du Québec en matière d’affaires intergouvernementales canadiennes. D’une manière plus ciblée, je discuterai également de la francophonie canadienne et de la relation que le Québec souhaite entretenir avec l’Ontario au cours des prochaines années. Mais, avant d’aborder ces sujets de front, j’aimerais prendre un moment pour les mettre en perspective.
Certains peuvent se questionner sur l’opportunité de la démarche de mon gouvernement, de voir les provinces jouer un rôle de premier plan sur la scène canadienne. En effet, pourquoi chercher à renforcer le rôle des provinces dans l’ensemble canadien? Mais, surtout, comment bâtir un Canada plus prospère, plus fort et plus humain, tout en y affirmant la spécificité québécoise?
Le contexte international explique une partie du bien-fondé de notre démarche. Nous vivons actuellement à l’heure de la mondialisation. Nous sommes notamment témoins d’une ouverture sans précédent des marchés, d’une augmentation des échanges et de la création de grands ensembles politiques. L’Union européenne est une belle illustration de ce phénomène, une multitude de pays s’unissant pour favoriser leurs échanges, resserrer leurs liens, permettre une gestion commune de certains dossiers, mais aussi développer ensemble une vision d’avenir.
Cet exemple européen nous permet de tisser un parallèle intéressant avec la situation canadienne. Le Canada fait lui aussi face aux défis de la mondialisation. Dans un contexte d’ouverture des marchés, où la concurrence est sans cesse plus féroce, il est légitime pour le Québec de anifester un certain intérêt à la participation au renforcement de l’union économique canadienne età l’amélioration de l’Accord sur le commerce intérieur. Le Canada fait aussi face à un défi de nature politique, étant invité à favoriser une plus grande collaboration et une meilleure communication entre ses composantes politiques. Les provinces sont donc appelées à développer, elles aussi, une vision commune de l’avenir du Canada.
Paradoxalement, alors que la mondialisation favorise la création de grands ensembles, elle voit aussi naître des mouvements d’affirmation de régionalismes et de particularismes un peu partout dans le monde. Avec sa situation géographique particulière, le Québec n’échappe pas à cette tendance. Sur un continent anglophone, voisin des États-Unis, alors que la culture américaine se globalise, le Québec doit affirmer haut et fort ce qui le caractérise.
Plusieurs pays cherchent à favoriser l’affirmation de ces régionalismes en ayant recours à une plus grande décentralisation. On peut immédiatement penserà l’exemple espagnol, là où le centre a conféré d’importants pouvoirs à ses communautés autonomes. Des pays qui, autrefois, étaient de purs modèles unitaires s’ouvrent de plus en plus à la reconnaissance des identités particulières présentes en leur sein. Cette reconnaissance prend la forme d’une décentralisation de pouvoirs, d’une plus grande affirmation des identités régionales et d’une nouvelle forme de proximité avec le citoyen.
Ce qui est vrai pour l’Europe est aussi vrai pour le Canada, dans une certaine mesure. Étant un pays, le Canada commande la définition d’une vision commune de l’avenir chez l’ensemble de ses citoyens, mais il doit aussi reconnaître la présence de régionalismes et permettre à ceux-ci de s’exprimer et de s’épanouir. Le Québec, bastion francophone en Amérique du Nord, peut très bien chercherà affirmer sa propre identité tout en participant activement à la solidification de l’ensemble, de manière à faire du Canada un pays plus concurrentiel sur le plan international. En tant que Canadiens, nous allons relever le défi posé par la mondialisation en encourageant la reconnaissance de la diversité canadienne comme l’une des valeurs fondamentales de notre pays.
Il faut savoir conjuguer unité et diversité. La philosophie québécoise en matière d’affaires intergouvernementales canadiennes s’articule autour d’une participation du Québec au projet fédératif canadien, mais aussi du plein respect de son identité propre. Nous sommes Canadiens, mais nous aimerions aussi pouvoir l’être à notre façon.
Le Canada ne doit pas se résumer à un modèle unique qu’on impose d’un océan à l’autre. Le Canada doit aussi faire un effort de souplesse et d’adaptabilité. Sa diversité est une importante richesse; elle est un des fondements de la création du Canada en tant que pays.
Mais, pour ce faire, une redécouverte du sens véritable du fédéralisme s’impose. Le Canada est une fédération. Ainsi, il y a un ordre gouvernemental fédéral qui assume un certain nombre de pouvoirs et qui dispose d’une autonomie dans l’exercice de ses compétences, mais il y a également un autre ordre de gouvernement, l’ordre de gouvernement provincial, qui est extrêmement important pour l’équilibre de l’ensemble et qui, lui aussi, en vertu de la Constitution canadienne, a ses propres pouvoirs et sa propre autonomie. Le Québec, en tant que province, doit voir ses pouvoirs et son autonomie respectés pour que le concept du fédéralisme ait un véritable sens.
Dans le respect de l’esprit du fédéralisme, nous insistons aussi pour qu’il y ait une reconnaissance — et je ne parle pas nécessairement d’une reconnaissance constitutionnelle — du fait que le Québec constitue une société tout à fait particulière dans l’ensemble canadien. Le Québec a sa spécificité linguistique, culturelle et institutionnelle. Notamment, le Québec est la seule province de l’ensemble canadien dont le droit privé est de tradition civiliste. Cette spécificité peut néanmoins s’épanouir dans un plus vaste ensemble, l’espace canadien.
Le fédéralisme suppose la mise en commun de valeurs, de ressources, de richesses et d’idéaux sur le plan fédéral, mais, en même temps, il devrait permettre aux particularismes de s’exprimer à une échelle territoriale plus restreinte. Dans ce contexte, quels sont nos principaux objectifs?
Tout d’abord, nous voulons renforcer les relations qui existent entre les provinces. À cette fin et à l’initiative du Québec, nous avons créé le Conseil de la fédération pour favoriser les consensus provinciaux et les relations interprovinciales.
Nous négocions actuellement des ententes de partenariat générales avec un certain nombre de provinces dont le Nouveau-Brunswick, Terre-Neuve-et- Labrador et l’Ontario. Nous espérons d’ailleurs signer une entente de coopération avec cette dernière province prochainement.
Nous souhaitons également donner une orientation nouvelle aux relations fédérales-provinciales. Pour ce faire, nous sommes ouverts à la collaboration, pour autant qu’elle soit possible. En effet, cette collaboration doit évidemment s’effectuer dans le respect du partage des compétences, lequel permet précisément, dans le cas du Québec, de protéger sa spécificité. Aussi, advenant une intrusion fédérale, le Québec défendra-t-il âprement ses compétences. Mais, lorsque la collaboration est possible, cette collaboration intergouvernementale, et particulièrement la collaboration fédérale-provinciale, doit être encouragée. Le renforcement de l’union économique anadienne est un domaine où la collaboration peut porter des fruits.
Nous souhaitons de plus qu’il y ait un accroissement du financement fédéral en matière de santé et que des solutions durables à la question du déséquilibre fiscal soient trouvées. Tandis que certaines provinces ont d’importantes difficultés à boucler leur budget annuel, on sait que le gouvernement fédéral jouit de surplus importants.
Nous voulons aussi que le Québec, ainsi que toutes les provinces qui le désirent, accroisse son rôle sur la scène internationale. Nous n’exprimons pas le souhait de voir le Québec s’y comporter comme un État souverain. Mais à l’exemple de plusieurs États fédérés du monde, nous souhaitons que le Québec fasse entendre sa voix dans des forums où il peut faire valoir sa spécificité. L’UNESCO est un bon exemple d’un forum auquel aimerait participer le Québec.
Nous souhaitons aussi voir les provinces jouer un rôle accru dans le processus de nomination des juges et des sénateurs.
Vous avez ainsi une liste de nos principaux objectifs en matière de relations intergouvernementales canadiennes. Le Conseil de la fédération est un des outils sur lesquels nous comptons pour l’atteinte de ces objectifs. Nous souhaitons donner une impulsion nouvelle aux relations fédérales-provinciales. Nous avons, d’une perspective québécoise, une vision canadienne qui ne fait pas abstraction du contexte international.
Il est un autre aspect des affaires canadiennes qui revêt une grande importance à mes yeux, car il aurait dû inciter le Québec à exercer un leadership que ce dernier est seul à pouvoir tenir au Canada, c’est celui de la francophonie canadienne. Dès notre arrivée au pouvoir, au printemps 2003, nous avons voulu donner une nouvelle impulsion à nos rapports avec les francophones du reste du Canada en changeant radicalement l’approche du Québec à leur endroit.
La vision d’une francophonie canadienne unie, dont le Québec fait partie intégrante, nous anime tout particulièrement. Nous voulons aussi voir le Québec exercer un leadership rassembleur dans une relation d’égal à égal avec ses autres partenaires. Il s’agit là d’un changement majeur d’orientation à l’égard de la francophonie canadienne.
Nos adversaires politiques vont peut-être exploiter ce changement en nous accusant de banaliser l’identité québécoise. Ce positionnement nouveau est toutefois rendu nécessaire par le fait que les francophones du Canada, partageant des racines et une histoire communes, doivent développer une même vision d’avenir, tournée vers la modernité. En outre, si nous souhaitons que le Canada demeure une société bilingue dans toute l’acception du terme, c’est-à-dire une société composée de deux communautés linguistiques, il est nécessaire que les francophones du pays fassent front commun et resserrent leurs liens. Ainsi, une francophonie vivante et dynamique, dans un tel contexte, inclut nécessairement le Québec, dans le respect de ses caractéristiques propres.
En ce sens, des gestes concrets ont été posés, et je tiens à vous en mentionner quelques-uns. Au début de mai 2004, le Forum de la francophonie, regroupant des représentants de toutes les régions du Canada, s’est tenu à Québec. Nous y avons notamment discuté de l’état des relations entre le Québec et les communautés francophones et acadiennes, de la révision de la politique du Québec en matière de francophonie canadienne, ainsi que de l’opportunité de créer un Centre de la francophonie dans les Amériques.
Par ailleurs, nous sommes également en pourparlers avec l’Alberta, le Nouveau-Brunswick, l’Ontario et le Yukon afin de conclure avec ces provinces et ce territoire des ententes de coopération en matière de francophonie.
En terminant, j’aimerais vous dire deux mots au sujet d’une autre cause qui me tient à coeur et à laquelle nous avons également consacré des efforts importants au cours de la dernière année : le rapprochement entre le Québec et l’Ontario. Je souhaite que ces deux provinces voisines redeviennent les complices qu’elles ont été dans le passé. Cette complicité doit se manifester dans la sphère du politique, bien sûr, mais aussi dans les domaines social, académique, culturel et
linguistique.
L’Entente de coopération Ontario-Québec, que nous souhaitons conclure prochainement, contribuera à ce rapprochement. Mais nous devons poursuivre nos efforts au-delà de cette entente pour tisser une relation plus serrée jour après jour. Lorsque nous travaillons ensemble, nous pouvons faire de grandes choses.
Le Québec et l’Ontario sont liés par l’histoire et ils doivent concevoir l’avenir de manière à répondre ensemble à des défis qui les interpellent tous les deux. Que ce soit la nouvelle donne issue de la mondialisation ou encore le besoin de réforme du fédéralisme canadien, nous pouvons et nous devons faire faceà l’avenir ensemble.
Merci!