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Moncton, Nouveau-Brunswick, le 13 octobre 2004 Allocution prononcée devant la Faculté de droit de l'Université de Moncton et l'Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques

La version prononcée fait foi.

Notes pour une allocution du ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et aux Affaires autochtones, M. Benoît Pelletier, devant la Faculté de droit de l’Université de Moncton et l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques à l’Université de Moncton

L’allocution prononcée fait foi

Monsieur le Recteur, Madame la Doyenne de la Faculté de droit, Monsieur le Directeur de l’Institut, Monsieur le Consul général de France, Monsieur le Chef de poste du Bureau du Québec dans les Provinces atlantiques, Mesdames et Messieurs,

Je tiens d’abord à remercier l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques et la Faculté de droit de l’Université de Moncton de m’avoir invité à échanger avec vous. Je suis heureux de me joindre à vous au sein d’une institution qui est sans contredit l’un des pivots de la modernité acadienne et l’un des témoins privilégiés de l’apport remarquable de l’Acadie à la francophonie canadienne. Comme vous le savez probablement, j’ai été professeur de droit à l’Université d’Ottawa pendant de nombreuses années avant de faire le saut en politique active. Visiter une faculté de droit représente donc pour moi un véritable retour aux sources, une occasion de replonger dans un milieu qui m’a apporté beaucoup sur les plans académique, professionnel et personnel.

Depuis mon entrée en fonction en tant que ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et aux Affaires autochtones, il y a un an et demi, j’ai eu le privilège de voyager dans toutes les régions du Canada et j’ai tenu, chaque fois, à y rencontrer des représentants des communautés francophones et acadiennes. C’est toujours avec plaisir que je côtoie des francophones déterminés à vivre et à s’épanouir en français.

Dans le cas de l’Acadie, il s’agit d’un plaisir renouvelé, puisqu’aujourd’hui marque ma quatrième visite en terre acadienne depuis mon entrée en fonction. C’est ainsi que ma première sortie ministérielle à l’extérieur du Québec fut à Petit-Rocher, en juin 2003, à l’occasion de l’assemblée générale annuelle de la Société Nationale de l’Acadie. Plus récemment, au début de l’été, j’ai représenté le gouvernement du Québec à l’île Sainte-Croix, à l’occasion des cérémonies protocolaires entourant le lancement des fêtes du 400e anniversaire de la fondation de l’Acadie. J’ai agi de même, au mois d’août dernier, à la faveur de la clôture du Congrès mondial acadien 2004 qui avait lieu en Nouvelle-Écosse.

J’ai été très honoré d’avoir pu, au nom du gouvernement du Québec, m’associer aux multiples réjouissances qui ont entouré les célébrations du 400e anniversaire de la fondation de l’Acadie. À cette fin, les occasions de rencontres ont été multiples. Je pense, entre autres, au Grand rassemblement et au premier Parlement jeunesse acadien, à la messe de réconciliation à Grand-Pré, et à Expo-Acadie. Les festivités entourant le 400e anniversaire de l’Acadie sont loin d’être passées inaperçues chez nous, au Québec, et nombreux sont les Québécois qui ont participé à ces célébrations, principalement en Nouvelle-Écosse, mais également dans les autres provinces de l’Atlantique ainsi qu’au Québec.

Une relation unique entre le Québec et l’Acadie

Comment ne pas insister sur les rapports de proximité qui se sont développés, qui perdurent et dont bénéficient mutuellement nos sociétés, nos institutions et nos populations respectives.

Souches du peuplement francophone sur le continent américain, l’Acadie et le Québec partagent non seulement une amitié vieille de 400 ans, mais également des racines communes en Amérique. Ces racines communes remontent à la même période que celle de l’établissement d’une colonie sur l’île Sainte-Croix, à l’été 1604, par Pierre Dugua, sieur de Mons.

En effet, parmi l’équipage du sieur de Mons se trouvait Samuel de Champlain qui, quatre ans plus tard, en 1608, fondait la ville de Québec. C’est d’ailleurs Champlain qui donna à l’Acadie et à Québec leur nom respectif, s’inspirant, à la suite de Verrazano, de la mythologie grecque pour le premier et de la toponymie autochtone pour le second.

Pendant un siècle et demi, les habitants de l’Acadie vécurent des périodes mouvementées et souvent difficiles. Je pense en particulier au Grand Dérangement, période pendant laquelle la couronne britannique expulsa des milliers d’Acadiens des Maritimes vers les colonies anglo-américaines, l’Angleterre et même la France.

À la suite de cette tragédie, les Acadiens ont essaimé de par le monde, venant enrichir de leur présence la Louisiane, la France et le Québec. On estime qu’il y aurait actuellement près de trois millions de descendants acadiens dans le monde, dont un million au Québec seulement. En Acadie, il y aurait aujourd’hui plus de 300 000 descendants des Acadiens touchés par l’ordonnance de déportation. D’une génération à l’autre, jamais vous n’avez renié vos origines. Progressivement, vous avez rebâti vos communautés, lutté pour le respect de vos droits et affirmé votre identité commune, notamment lors des grandes conventions nationales qui se sont déroulées à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Les Canadiens français du Québec, comme on appelait les Québécois à l’époque, ont d’ailleurs appuyé les Acadiens dans leur démarche d’affirmation.

La relation privilégiée qu’entretiennent l’Acadie et le Québec a connu des hauts et des bas, selon les époques. Par exemple, les États généraux du Canada français, qui se sont déroulés de 1966 à 1969, se sont soldés par une rupture entre les Québécois, d’une part, et les francophones de l’extérieur du Québec — dont les Acadiens —, d’autre part. Cette scission découlait notamment de la volonté des Québécois d’affirmer leur identité propre , dans la foulée de la révolution tranquille. Cette scission résidait également dans le fait que les Québécois étaient majoritaires sur leur territoire et qu’ils contrôlaient leurs leviers politiques et leurs institutions, ce qui les distinguait, bien entendu, des francophones du reste du Canada.

Parallèlement à cette affirmation du Québec, les Acadiens, particulièrement ceux du Nouveau-Brunswick, vivaient leur propre mutation. Pour les Acadiens, les années 60 n’ont pas représenté que la fin du Canada français; elles ont aussi, et peut-être surtout, été marquées par l’action de Louis-Joseph Robichaud, par le programme « Chances égales pour tous » et par la reconnaissance du bilinguisme officiel au Nouveau-Brunswick. De fait, cette décennie a été celle de la reconnaissance progressive, quoique ardue dans certains cas, des droits linguistiques de la communauté acadienne, et ce, non seulement au Nouveau- Brunswick, mais également dans les autres provinces atlantiques.

Il est toutefois ironique de constater que, loin de les rapprocher, l’affirmation de la singularité du Québec, de l’Acadie et des communautés francophones de l’ Ontario et de l’Ouest canadien a plutôt contribué à l’éloignement de nos collectivités les unes par rapport aux autres. Cela s’explique par le fait que cette affirmation s’est accomplie de façon parallèle et relativement cloisonnée plutôt qu’en symbiose. Cet éloignement a d’ailleurs été accentué par des enjeux constitutionnels qui ont parfois amené le Québec et les communautés francophones et acadiennes dans des camps opposés.

La francophonie face à un défi commun

Mais, aujourd’hui, le contexte est différent. De plus en plus, les groupes francophones du Canada prennent conscience qu’ils ne peuvent se permettre de faire chacun cavalier seul. Dans un contexte d’intégration des marchés, les sociétés, les communautés, les peuples et les collectivités sont de plus en plus interreliés. Ce contexte est une grande source d’enrichissement, car il entraîne une ouverture sur le monde et nous donne un accès sans précédent aux cultures étrangères. Toutefois, si nous n’y prenons garde, il pourrait conduire à l’homogénéisation des cultures et des particularismes. Dans la mesure où la francophonie est fortement minoritaire sur le continent, la pérennité du fait français pourrait être mise en péril au Québec, au Canada et dans les Amériques. Mais je crois fermement que, si les francophones du Canada unissent leurs efforts, ils pourront alors assurer de façon durable la place du français et son rayonnement. C’est pourquoi le gouvernement du Québec appuie cette volonté mutuelle de rapprochement qui transcende nos parcours différents.

Nous avons, tous et toutes, que l’on soit du Québec ou des communautés, une responsabilité face à notre réussite comme francophones en Amérique; nous avons un rôle majeur à jouer en regard du développement du français au Canada. Or, nos jeunes baignent dans un environnement qui n’a rien à voir avec celui qui était le mien à leur âge. Avec les moyens de communication maintenant à leur disposition, ils vivent non plus au rythme des communautés, mais au rythme de la planète. La mondialisation des échanges favorise une ouverture d’esprit dont nous ne pouvons que nous réjouir. Mais elle fait également en sorte que les référents des jeunes sont différents des nôtres. Cela nous place devant la nécessité d’assurer la modernisation de la francophonie à tous les points de vue afin de relever le nouveau défi de la concurrence des cultures. Voilà pourquoi la francophonie canadienne a besoin d’un discours renouvelé et d’une présence réaffirmée socialement, économiquement et politiquement dans les Amériques.

La place de la francophonie au Canada et dans les Amériques

En tant que seul État majoritairement francophone en Amérique du Nord, le Québec est particulièrement interpellé par ce défi de la diversité culturelle et linguistique. C’est pourquoi j’ai tenu au cours de la dernière année à ce que nous réfléchissions ensemble à l’état, à la qualité et à la portée de nos relations. Ainsi, nous avons lancé une vaste consultation qui a culminé avec la tenue du Forum sur la francophonie, qui a eu lieu à Québec, les 30 avril, 1er et 2 mai derniers. Les résultats de cette réflexion ont permis d’amorcer deux grands chantiers : celui de l’actualisation de la Politique du Québec à l’égard des communautés francophones et acadiennes du Canada et celui de la mise sur pied du Centre de la francophonie dans les Amériques à Québec.

Nous nous sommes appliqués, lors du Forum sur la francophonie, à établir les éléments de convergence entre les diverses composantes de la francophonie canadienne, ainsi que les approches qui nous permettront de moderniser nos rapports et de concrétiser notre nouvelle solidarité. Tous se sont alors entendus sur le fait que la politique du Québec à l’égard de la francophonie et les moyens de sa mise en oeuvre devaient s’appuyer sur une vision partagée, commune, axée sur des résultats concrets.

Déjà, nous, francophones du Canada, avons fait consensus sur un certain nombre de constats qui nous indiquent essentiellement que la politique du Québec doit mieux correspondre à la réalité francophone du Canada. Nous avons convenu que la nouvelle politique devait assurer la mise en relation et la collaboration continues des principaux réseaux de la francophonie canadienne dans tous les champs d’intervention. Nous avons également convenu que cette politique devait faire davantage la promotion des communautés au Québec. Je puis vous assurer que tout cela se reflétera dans la nouvelle Politique du Québec à l’égard de la francophonie canadienne, qui devrait entrer en vigueur au cours de l’année 2005.

Lors du même forum, tous ont également reconnu la nécessité de regrouper les forces vives de la francophonie afin de faire avancer la cause du français à l’échelle continentale. Le Centre de la francophonie dans les Amériques, que nous voulons mettre sur pied, sera l’expression à la fois de cette nouvelle solidarité et du leadership rassembleur et ouvert qu’entend assurer le Québec en la matière. L’inauguration du Centre est prévue dans un horizon de deux ou trois ans. Nous avons déjà amorcé les travaux préparatoires qui nous y conduiront. Je ne vous cacherai pas qu’il s’agit là d’un projet de grande envergure et qu’il reste beaucoup de travail à accomplir pour le mener à terme.

La francophonie est le canal par lequel nos sociétés ont choisi de se projeter dans le nouveau millénaire et d’y faire leur marque. Le Centre sera sans contredit l’un des véhicules de cette volonté d’affirmation. Ce sera aussi, très certainement, un lieu de mémoire, car notre présence sur ce continent témoigne également d’une réalité historique, vieille de 400 ans. Mais le Centre de la francophonie dans les Amériques sera avant tout un lieu de rencontres pour les francophones de tout le Canada et des Amériques. Personnellement, je le vois déjà comme un lieu de débats et d’analyses, un lieu de réflexion et de recherche sur divers aspects de la francophonie, un lieu de promotion culturelle des produits francophones, d’interprétation et de référence sur le fait français en Amérique. Bref, j’imagine ce Centre comme un lieu de rayonnement et d’animation de la francophonie dans toutes ses dimensions. En tant que lieu de positionnement stratégique, le Centre contribuera à développer une vision commune de la francophonie, ce qui facilitera, à terme, l’élaboration conjointe d’activités de promotion, de même que la réalisation de projets communs.

Vous le voyez, les défis qui s’offrent à nous, francophones du Québec et du Canada, sont nombreux, mais je pense que nous sommes sur une très belle lancée. Nous devons à tout prix dynamiser davantage nos rapports et nous donner un plan pour aller encore plus loin sur la voie de l’engagement ferme en faveur du rayonnement du français à l’échelle continentale. C’est en affirmant tous ensemble notre caractère français que la dualité linguistique, caractéristique fondamentale du Canada, prendra tout son sens.

Un Québec qui reprend sa place au Canada

Cette ferme volonté du gouvernement du Québec de réintégrer à part entière la Francophonie canadienne et de mettre à profit ses acquis afin que nos communautés respectives puissent évoluer sainement et que la langue française puisse s’épanouir, s’inscrit dans un contexte plus large dans lequel le Québec, en collaboration avec ses partenaires fédératifs, souhaite donner un nouveau souffle à la fédération canadienne.

Comme vous le savez, le gouvernement dont je fais partie a beaucoup misé sur une redéfinition des relations intergouvernementales canadiennes, comme l’illustre éloquemment la création du Conseil de la fédération. Voilà en effet une nouvelle institution dans le paysage politique canadien, créée à l’instigation du Québec, avec notamment l’appui indéfectible du Nouveau-Brunswick. Le Conseil de la fédération est la première institution interprovinciale à voir le jour depuis l’avènement, en 1960, des conférences annuelles des premiers ministres provinciaux.

Le Conseil de la fédération se veut un lieu permanent d’échanges et de concertation qui réunit les dix provinces et les trois territoires. Le Conseil vise à favoriser la participation des provinces à la gouverne de la fédération, entre autres, en renforçant leur voix par rapport à celle du gouvernement fédéral, dans l’optique d’un meilleur équilibre dans les rapports fédératifs. En moins d’un an, pas moins de quatre réunions des premiers ministres ont été tenues sous les auspices du Conseil. Son plan de travail pour l’année en cours touche à des questions ou à des secteurs prioritaires comme la santé, le déséquilibre fiscal, la péréquation, les évaluations environnementales, les nominations au Sénat et à la Cour suprême du Canada, la participation des provinces et territoires aux négociations internationales et aux accords qui concernent leurs domaines de compétence, les relations avec les États-Unis et le renforcement des échanges commerciaux à l’intérieur du Canada.

Toujours sur le plan intergouvernemental, la participation active du Québec à la vie fédérative se traduit également par une volonté d’intensifier sa coopération bilatérale avec ses partenaires provinciaux. Le Québec souhaite ainsi réviser et actualiser les accords existants et en conclure de nouveaux. Ainsi, des ententes globales de coopération sont en cours de négociation avec les trois provinces frontalières du Québec, c’est-à-dire l’Ontario, Terre-Neuve-et-Labrador et le Nouveau-Brunswick.

J’aimerais témoigner de l’amitié toute particulière qui caractérise les rapports qu’entretiennent les gouvernements du Québec et du Nouveau-Brunswick. En effet, dès 1969, le gouvernement du Québec signait avec le Nouveau-Brunswick l’une de ses premières ententes de coopération interprovinciale. Ce faisant, le Québec témoignait de sa haute estime envers sa province voisine. Trente-cinq ans plus tard, force est de constater que la coopération Québec--Nouveau-Brunswick a permis d’accroître de façon notable l’ampleur et la qualité des échanges entre les populations québécoise et néo-brunswickoise, particulièrement celles de langue française.

Au surplus, cette grande amitié a indéniablement donné des fruits dans le contexte des relations intergouvernementales, que ce soit à Charlottetown, à l’été 2003, lors de la création du Conseil de la fédération ou à Ottawa, au mois de septembre dernier, au moment de la conclusion de l’entente sur la santé. Le premier ministre Jean Charest apprécie grandement la collaboration du premier ministre Bernard Lord. J’ai moi-même une relation des plus fructueuses avec mon homologue Percy Mockler, que je salue comme un ami du Québec.

Le principe du fédéralisme asymétrique

Je crois pouvoir dire que nos deux provinces, le Québec et le Nouveau Brunswick, reconnaissent d’emblée que la diversité et le respect des différences — c’est-à-dire le respect des caractéristiques intrinsèques des différentes communautés qui partagent un même espace géopolitique —, sont fondamentales. Les liens qui unissent le Québec et les francophones de tout le Canada, fondés sur le respect de chaque composante, sur le dialogue et sur des projets communs, témoignent précisément de la mise en application de ces valeurs. Une telle pratique s’est d’ailleurs concrétisée, ne l’oublions pas, dans le cadre de la fédération canadienne et des principes qui la fondent.

Parmi ces principes, figure la notion d’asymétrie. Celle-ci renvoie à la reconnaissance de la diversité et au respect de la différence. La diversité elle-même est source de richesse, et ce, tant sur le plan culturel que sur les plans politique et social. Il n’est nullement nécessaire ni même souhaitable qu’une norme ou que des façons de faire soient dans tous les cas identiques ou uniformes. Il faut plutôt tenir compte de chaque situation et, ainsi, moduler la norme et son application en fonction des divers besoins et caractéristiques. Cela suppose, cependant, qu’il faille être prêt à faire l’effort de rechercher, par le dialogue et la collaboration, dans

un espace démocratique, les modalités selon lesquelles tous et toutes pourront adhérer concrètement à des orientations générales, sans renier leur identité propre. Ce n’est certes pas toujours la voie la plus facile à suivre, mais, lorsqu’elle est couronnée de succès, c’est assurément celle qui apporte la plus grande satisfaction à celles et à ceux qui l’ont empruntée, puisqu’ils peuvent alors se reconnaître pleinement dans les résultats obtenus. De ce point de vue, la pratique de l’asymétrie est même susceptible, à terme, de favoriser la cohésion sociale et politique puisqu’elle privilégie des solutions adaptées aux problématiques et à la situation de chacun.

Même si l’emploi du mot « asymétrie » est assez récent, le principe de la reconnaissance de la diversité auquel il est associé existe depuis longtemps déjà. En effet, la création de la fédération canadienne s’est largement inspirée de ce principe qui consacrait cette reconnaissance de la diversité. Comme le mentionne la Cour suprême du Canada dans le Renvoi relatif à la sécession du Québec de 1998 :

 

La réalité sociale et démographique du Québec explique son existence comme entité politique et a constitué, en fait, une des raisons essentielles de la création d’une structure fédérale pour l’union canadienne en 1867. (…) La Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick, qui avaient aussi affirmé leur volonté de préserver leur culture propre et leur autonomie en matière locale, ont bien accueilli également le fédéralisme1.

 

On peut recenser quatre formes d’asymétrie : l’asymétrie constitutionnelle, l’asymétrie financière, l’asymétrie législative et l’asymétrie administrative. Sur le plan constitutionnel, le principe de l’asymétrie se traduit de diverses manières. Il s’exprime, entre autres, par l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 sur l’usage des langues française et anglaise au Québec et dans l’ordre fédéral de gouvernement, ainsi que par l’article 93 sur les écoles confessionnelles. La protection du Code civil au Québec, qui est le pendant de la common law d’origine britannique en vigueur dans les autres provinces, en est aussi une illustration. À cet égard, l’article 94 de la Loi de 1867 consacre la possibilité, pour le Parlement du Canada, d’adopter des dispositions uniformes en matière de propriété et de droits civils, avec l’accord des provinces, mais l’exclusion du Québec de cette disposition confirme sa situation particulière. Une expression plus récente de l’asymétrie se trouve dans les paragraphes 16(2) à 20(2) et l’article 16.1 de la Charte canadienne des droits et libertés sur le bilinguisme officiel au Nouveau-Brunswick. Par ailleurs, l’alinéa 23(1)a) de la Charte n’est pas appliqué au Québec en ce qui touche à certaines modalités de l’éducation dans la langue de la minorité. On pourrait répertorier de nombreux autres cas d’asymétrie constitutionnelle existante.

Au Canada, l’asymétrie financière s’exprime dans les transferts aux provinces, lesquels, pour toutes sortes de raisons, ne sont pas nécessairement les mêmes d’une province à l’autre. On n’a qu’à penser, à cet égard, aux paiements de péréquation que ne reçoivent que huit provinces sur dix.

Quant à l’asymétrie de nature législative, elle est notamment légitimée par le tout dernier paragraphe de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui autorise des différences dans l’application des lois fédérales d’une province à l’autre.

Sur le plan administratif, maintenant, nous pouvons aussi constater de nombreux exemples de mesures asymétriques au sein de la fédération canadienne, particulièrement depuis les années 60, mais aussi avant. Je pense ici, notamment, à la participation du Québec et du Nouveau-Brunswick à la francophonie internationale et aux ententes sur la formation de la main-d’oeuvre, qui ont été conclues en 1997 et qui prévoient le transfert vers le Québec et d’autres provinces de responsabilités liées au marché du travail. Je pense aussi à l’entente de principe Ottawa-Québec sur les congés parentaux de 2004, laquelle devrait déboucher sur une entente finale en 2005.

La récente entente sur la santé marque un nouveau pas en consacrant la reconnaissance expresse du principe de l’asymétrie, et ce, non seulement dans l’entente bilatérale conclue entre le Québec et le fédéral, mais aussi dans l’entente multilatérale conclue entre tous les gouvernements. Dans ce cas, c’est le Québec qui s’est prévalu du principe, mais, dans d’autres circonstances, ce pourrait être d’autres partenaires de la fédération.

En fait, le principe de l’asymétrie se manifeste par une stratégie de recherche d’ajustements suivant laquelle c’est la collaboration, fondée sur le dialogue et la négociation entre les partenaires, qui prévaut, l’objectif étant de construire le consensus sur la foi des intérêts réciproques. Cela implique que, selon les circonstances, des mesures d’accommodement puissent être adoptées afin de tenir compte des besoins de l’un ou l’autre des partenaires, tout en mettant en avant un cadre commun reflétant les valeurs que nous partageons tous.

Bien entendu, l’asymétrie n’a pas que des adeptes. Une autre conception de la fédération canadienne, plus centralisatrice, a aussi cours et compte encore des partisans. Les tenants de cette approche soutiennent que l’égalité n’est possible que par l’application à tous de normes identiques et uniformes, qu’il s’agisse des partenaires de la fédération, des communautés ou des individus, peu importe leur situation particulière.

Il s’agit, selon moi, d’une vision plutôt théorique qui relève d’une utopie voulant que l’on puisse fondre les particularismes dans des principes généraux et abstraits, sans égard à la réalité. Cette approche, lorsqu’on a tenté de la mettre en oeuvre, a souvent eu pour résultat d’engendrer des frustrations aussi inutiles que néfastes pour l’unité du pays. Contrairement à cette philosophie qui préconise l’uniformisation comme seule garante possible de la cohésion nationale, l’asymétrie est fondée sur le principe de l’unité dans la diversité. Ce principe souscrit à un idéal d’équité, de reconnaissance de la diversité et de respect mutuel.

Ce souci de tenir compte des identités et des particularités n’est d’ailleurs pas exclusif au Canada. La réforme des institutions britanniques, appelée « dévolution », constitue un exemple d’application de la notion d’asymétrie. Ainsi, une série de lois adoptées par le Parlement de Westminster a permis de redonner au pays de Galles, à l’Écosse et à l’Irlande du Nord une autonomie leur conférant la gestion d’une partie des programmes décrétés par Londres et le pouvoir de légiférer et de prélever les impôts. De plus, la « dévolution » est différemment appliquée dans les trois régions, ce qui constitue une forme additionnelle d’asymétrie.

La reconnaissance des particularismes représente un phénomène qui accompagne celui de la mondialisation. En effet, nous constatons de plus en plus que les sociétés actuelles sont traversées par deux mouvements, en apparence opposés, mais dans les faits complémentaires. D’une part, nous assistons à une « globalisation » et à une intégration, non seulement des marchés, mais aussi de l’information et des communications, par l’intermédiaire des réseaux électroniques. D’autre part, ce processus, contrairement à ce que nous pourrions croire de prime abord, s’accompagne d’une forte tendance à l’affirmation des identités des collectivités locales et régionales. Ce phénomène touche autant les institutions politiques que les regroupements d’individus et il constitue une réponse à certains excès du vingtième siècle.

Le principe de l’asymétrie s’inscrit donc dans cette tendance de fond qui caractérise les sociétés et les collectivités actuelles, soucieuses de plus en plus de construire leur unité sur le respect de l’autre, et non par l’adoption et la mise en oeuvre de normes en tous points identiques et uniformes.

En tant qu’êtres humains, nous sommes égaux, bien que nous soyons différents. Il ne nous viendrait jamais à l’esprit de nier à l’autre le droit d’exister et de s’exprimer dans son originalité propre. Nous souhaitons même, tout naturellement, que chacun et chacune dispose des moyens qui lui permettent de faire valoir sa personnalité et de s’épanouir. Il doit en être des collectivités comme il en est des individus. Les groupes humains, et a fortiori les nations comme le Québec, doivent avoir le droit et la capacité de faire valoir leur personnalité, leur singularité, leur identité.

C’est dans cet esprit que s’inscrit l’action du Québec au sein de la fédération canadienne. Nous savons que nous pouvons compter sur votre appui dans la poursuite de ce noble idéal qu’est celui d’assurer la cohérence et la cohésion de l’ensemble canadien, tout en respectant la singularité de chaque province et territoire, dont la spécificité du Québec.

Les Québécois savent pertinemment qu’ils ont un destin particulier dans ce coin de l’Amérique. Ils partagent d’ailleurs cela avec les Acadiens et les francophones de tout le Canada.

Conclusion

Je suis assuré que nous saurons relever tous ensemble ces nombreux défis que nos destins, à la fois si différents et si semblables, mettent sur notre route. J’ai l’intime conviction que la francophonie en Amérique a un avenir et n’est pas qu’une simple vue de l’esprit. La francophonie est une réalité pour moi. Elle est le résultat d’un processus historique; c’est un espace qui englobe les cultures de différentes sociétés. Le Québec en fait partie et entend contribuer fortement au rayonnement de l’ensemble.

Cette francophonie évolue dans des contextes variés. Elle est majoritaire au Québec, mais minoritaire dans les autres provinces et territoires. Toutefois, ne perdons jamais de vue qu’à l’échelle continentale, c’est le français qui est minoritaire et que ce contexte particulier appelle des mesures particulières. Je suis convaincu qu’un discours renouvelé et un positionnement plus affirmé de la francophonie canadienne favoriseront, à terme, la pérennité et le rayonnement du fait français au Québec, ailleurs au Canada et dans les Amériques.

Il ne saurait y avoir de diversité réelle et durable sans une affirmation culturelle et linguistique très forte de notre part. C’est pourquoi le gouvernement du Québec est si déterminé à influer sur l’avenir de la fédération canadienne et à travailler étroitement avec les Acadiens, les francophones du Canada et ceux des Amériques à l’affirmation du fait français.

Nous tous et toutes qui partageons ce bien précieux qui s’appelle la langue française, nous tous et toutes, francophones du Canada, savons qu’à ce titre, ce n’est pas que notre vie que nous vivons individuellement, mais c’est aussi la vie de cet ensemble que nous sommes.

Nous habitons un espace, l’espace francophone, mais celui-ci n’est pas que notre espace, c’est aussi celui de tous ces hommes et femmes qui, venus des quatre coins de la terre, veulent bien le faire leur.

La langue française est elle-même porteuse de valeurs : l’humanisme, la tolérance, le respect des individus et des collectivités. En transmettant cette langue à nos enfants, ce sont ces valeurs que nous transmettons aussi.

Notre héritage est fait de mots, d’idées et d’idéaux. Cet héritage prend racine dans le passé et nous projette dans l’avenir. Ce soir, je vous propose d’envisager cet avenir ensemble, solidaires comme jamais nous ne l’avons été, renforcés non seulement par l’adversité, mais aussi, et surtout, par nos succès.

Je vous remercie!

1 Renvoi relatif à la Sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217-441, p. 252.