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Barcelon, le 17 novembre 2004 Présentation de monsieur Benoît Pelletier ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et aux Affaires autochtones à l’occasion d’une visite au Parlement de Catalogne

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La version lue fait foi


Mesdames et Messieurs les Parlementaires,

Chers amis,

J’ai l’honneur et le grand plaisir de prendre la parole aujourd’hui parmi vous, dans cet édifice prestigieux où, tous les jours, s’exprime la vie démocratique de la nation catalane. Je ne peux m’empêcher, en visitant votre Parlement, de penser au courage qui se dégage de l’histoire des institutions de la Catalogne. Cette force est aujourd’hui la source d’un dynamisme extraordinaire et la Catalogne constitue un exemple frappant d’affirmation pour ces États, dont le Québec, qui, sans être pleinement souverains, veulent assumer leur dimension nationale.

Je suivrai avec grand intérêt, dans les mois qui viennent, le débat sur la révision du statut d’autonomie de la Catalogne. Le processus en cours, à bien des égards, touche à des problématiques qui entretiennent certains parallèles avec la réalité québécoise. Peu après la restauration de la Generalitat, le Québec et la Catalogne se sont découvert des intérêts communs, des affinités, des parentés quant à leurs grands objectifs. Ces points de convergence, à l’origine d’une rencontre, puis d’une amitié entre nos peuples, constituent encore aujourd’hui une réalité bien vivante, comme le démontrent les ententes de coopération qui nous lient.

Ma visite en Catalogne est donc pour moi une occasion privilégiée de me familiariser avec les importants processus de réforme en cours chez vous. C’est également pour moi l’occasion de vous donner un aperçu de la situation canadienne et de l’approche du gouvernement nouvellement arrivé au pouvoir au Québec, en avril 2003.

Dans ses rapports fédératifs, le gouvernement du Québec, dirigé par le premier ministre, monsieur Jean Charest, pratique une politique fondée sur le choix du fédéralisme comme voie d’avenir et d’affirmation pour le Québec. Néanmoins, il s’agit d’un gouvernement pour lequel le droit collectif des Québécoises et des Québécois de choisir leur avenir demeure tout à fait fondamental. Rien n’est plus important que le respect des choix démocratiques, dans la mesure où ces choix sont exprimés de façon volontaire et éclairée. Bien entendu, l’actuel gouvernement du Québec est résolument fédéraliste. Ainsi, il estime que le fédéralisme canadien est un moyen, un tremplin dont disposent les Québécoises et les Québécois pour exprimer leur identité collective, tout en participant à un projet plus vaste.

Si le Québec est libre de choisir son avenir, en optant pour le fédéralisme, il accepte de participer au projet canadien. Il accepte de participer à la définition d’un bien commun général, dans un cadre et un esprit fédéral. L’engagement du gouvernement du Québec à l’égard de la revitalisation du fédéralisme est aujourd’hui l’expression de cette participation québécoise. Le gouvernement souhaite contribuer activement à la vie fédérative en plaçant l’affirmation québécoise au cœur de sa politique. Cette affirmation du Québec est pleinement compatible avec le fédéralisme. Elle est notamment en corrélation directe avec les motivations historiques liées à la naissance de la fédération canadienne, naissance dans laquelle la collectivité québécoise a joué un rôle crucial. En effet, n’eût été le caractère spécifique du Québec, le choix d’un État unitaire rassemblant les colonies britanniques d’Amérique du Nord aurait sans doute prévalu au Canada. En fait, l’affirmation du Québec est tout autant ancrée dans l’histoire de notre fédéralisme qu’elle est essentielle à son avenir.

L’identité du Québec occupe donc une place privilégiée dans la mission gouvernementale. Cette identité singulière, fondée sur la langue, la culture, le droit civil, les institutions et le mode de vie en général, donne tout son sens aux trois mots-clés — affirmation, autonomie et leadership — qui constituent aujourd’hui l’essence de la position officielle du gouvernement du Québec en matière d’affaires intergouvernementales.

Affirmation? …parce qu’il est légitime pour le Québec de vouloir renforcer son identité et de la faire valoir au Canada et dans le monde.

Autonomie? …parce que l’État québécois est autonome dans le contexte fédéral canadien. Le gouvernement du Québec doit défendre résolument cette autonomie, et chercher même à l’étendre, en privilégiant pour l’instant des voies qui n’impliquent pas la réouverture de négociations constitutionnelles. La non-adhésion du Québec aux modifications apportées sans son consentement à la Constitution canadienne de 1982 demeure donc, à ce stade-ci, inchangée.

Leadership? …parce que nous visons à ce que le Québec redevienne le chef de file qu’il a historiquement été dans l’espace canadien, et ce, tant dans ses relations avec les autres provinces — ce que nous appelons l’« interprovincialisme » — que dans celles qu’il entretient avec le gouvernement fédéral.

En 2003, le gouvernement est arrivé au pouvoir dans une fédération canadienne marquée par certains problèmes récurrents qui affectaient le dynamisme et l’efficacité des rapports intergouvernementaux, ainsi que la qualité des rapports fédératifs. En présence de la tentation centralisatrice de l’État fédéral, de sa tendance au fédéralisme quasi hiérarchique et de la disproportion de ses moyens financiers, la nécessité d’un renouveau, la nécessité d’un meilleur équilibre était facile à diagnostiquer.

Le fédéralisme, dans le contexte canadien, doit constituer un rempart contre la centralisation du pouvoir, une protection face « à la concentration de ce pouvoir en un seul centre1 ». Cette notion de rempart est importante pour l’existence d’un fédéralisme véritable. En tant que système, le fédéralisme jouit d’ailleurs d’atouts qui lui permettent de s’ériger en rempart contre la centralisation outrancière. Ces atouts sont de divers ordres :

  • D’abord, le partage des compétences. Ce partage des responsabilités étatiques dans les fédérations n’est pas le fruit du hasard. Il obéit à une logique qui repose parfois sur la promotion de la diversité, parfois sur l’introduction de poids et de contrepoids pour améliorer la qualité de la démocratie, parfois sur un besoin de proximité entre le pouvoir public et le contribuable, et parfois même sur le concept de la subsidiarité, c’est-à-dire sur la question de savoir quel ordre de gouvernement est le mieux placé pour dispenser tel ou tel service.
  • Ensuite, l’égalité de statut des ordres de gouvernement, c’est-à-dire leur non-subordination l’un à l’autre. Cette égalité de statut crée une pluralité de centres où s’exerce un véritable pouvoir d’État.
  • Enfin, le besoin d’intangibilité. Le fédéralisme doit être protégé par les principes constitutionnels. Si le constitutionnalisme échoue dans sa mission protectrice, le fédéralisme disparaît en se résumant peu à peu à une appellation et à de simples formes ou rituels institutionnels.

Dans la fédération canadienne, où le fédéralisme fait partie d’un compromis fondateur et a volontairement été substitué au dessein unitaire initial, il fallait se préoccuper de la santé de notre système fédéral et de sa capacité à constituer un rempart contre une centralisation trop importante.

À cette fin, un processus de revitalisation du fédéralisme canadien a été lancé en juillet 2003 lors d’une conférence annuelle des premiers ministres des provinces et des chefs de gouvernement des territoires. L’objectif d’une meilleure structuration des relations intergouvernementales demeure une dimension importante de cette revitalisation. Le Québec a exercé un certain leadership à cet égard en proposant la création d’une nouvelle institution, le Conseil de la fédération, institution sur laquelle je reviendrai et qui a maintenant presque un an d’existence.

Sur le plan intergouvernemental, la participation active du Québec à la vie fédérative s’est également traduite par sa volonté d’intensifier la coopération bilatérale avec ses partenaires fédératifs, provinces et territoires. Enfin, le Québec a été amené à renouveler — et, jusqu’à un certain point, à redéfinir — son engagement à l’égard de la francophonie canadienne et des Amériques, sans affecter son engagement fondamental au sein de la Francophonie internationale. Il cherche plus précisément à établir une relation nouvelle qui se traduira par des liens plus étroits et des efforts communs en vue d’affirmer le fait français dans un contexte continental où il reste fortement minoritaire.

L’action québécoise implique globalement l’idée de contribuer à un projet canadien plus large. Cette contribution se traduit de différentes façons. Elle doit aussi se conjuguer avec le respect de certains grands paramètres qui guident la politique québécoise sur le plan intergouvernemental.

D’abord, la plupart du temps, la collaboration s’impose entre les gouvernements en présence au sein d’une fédération. Toutefois, on aurait tort, dans le fédéralisme canadien, d’ériger le processus intergouvernemental en dogme absolu, car des désaccords peuvent survenir, des consensus peuvent s’avérer impossibles. Parfois, la collaboration n’est pas souhaitable, par exemple si une telle collaboration risque de porter ombrage à l’une ou l’autre des compétences exclusives du Québec. Mais une ouverture de principe à des dynamiques collectives, susceptibles de vraiment faire avancer les choses, reste fondamentale comme attitude de gouvernement.

Le respect et la reconnaissance de la spécificité du Québec, c’est-à-dire de son identité propre au sein de la fédération, sont d’autres prémisses essentielles à la participation du Québec au projet canadien. Le Québec, qui s’investit certes dans la revitalisation du fédéralisme canadien, s’attend néanmoins, de la part de ses partenaires canadiens, au respect de sa volonté d’affirmation.

Le Québec s’attend également au respect de son attachement profond à son autonomie dans le système fédéral. La situation minoritaire du peuple québécois dans l’ensemble canadien donne à la sphère d’autonomie du Québec, découlant du partage des compétences, une valeur tout à fait particulière.

Certains courants au sein du fédéralisme canadien relativisent l’importance d’un tel partage des compétences en invoquant le contexte contemporain de la mondialisation et, notamment, des exigences d’efficacité et d’intégration. Par cette approche, on perd de vue la valeur particulière du partage des compétences en tant que moyen de reconnaître et de mettre en œuvre la sphère d’autonomie essentielle au Québec, dans la situation minoritaire qui lui est propre. Si l’importance du partage des compétences en vient à ne plus être reconnue, les Canadiens perdront alors un outil formidable pour faire valoir la diversité intrinsèque à la fédération canadienne, diversité que traduit notamment la présence du Québec au sein du Canada. Or, la reconnaissance de la diversité est précisément l’un de ces défis très actuels que tentent de relever maints systèmes politiques qui s’inscrivent dans une réalité multinationale.

Déclarer le partage des compétences dépassé, comme certains le font actuellement au Canada, sous prétexte que les enjeux actuels sont d’une complexité telle qu’ils en viennent à peu près tous à acquérir une dimension transfrontalière, revient en quelque sorte à déclarer le fédéralisme dépassé. Car, dans une perspective juridique, les notions de fédéralisme et de partage des compétences se confondent dans une large mesure. Du reste, le partage des compétences, qui dessine et garantit une sphère d’autonomie aux entités politiques, est d’une actualité permanente lorsqu’existe, au sein de l’ensemble étatique, une réalité nationale minoritaire comme celle du Québec.

L’autonomie, pour être effective et donner une véritable marge de manœuvre, doit cependant s’accompagner d’un contrôle des leviers financiers nécessaires à son exercice. Des défis importants se présentent à la fédération canadienne sur ce plan. Il existe en effet un déséquilibre entre, d’une part, les revenus de chaque ordre de gouvernement et, d’autre part, les ressources financières, nécessaires à l’exercice des responsabilités de chacun. Ce déséquilibre structurel défavorise les provinces. Il vient particulièrement affecter la capacité d’innovation des provinces et de leur gouvernement. Avec les moyens financiers présentement à la disposition du gouvernement fédéral, cette capacité d’innovation risque de se transférer peu à peu vers Ottawa, ce qui constitue, il va sans dire, une perspective peu favorable à l’affirmation québécoise.

Les provinces canadiennes ont des compétences constitutionnelles particulièrement onéreuses à assumer — système de santé, éducation, affaires sociales, affaires municipales —, ce qui les rend plus vulnérables financièrement. Ce problème est grandement amplifié en raison du fait que les gouvernements provinciaux disposent de ressources financières et fiscales insuffisantes pour leur permettre d’assumer des responsabilités constitutionnelles dont le coût croît continuellement, alors que le gouvernement central a des moyens financiers qui lui permettent non seulement d’assumer pleinement ses propres obligations constitutionnelles, mais également de diminuer son niveau d’endettement et de dépenser une partie de ses revenus dans des domaines provinciaux. Le Québec appelle ce phénomène le déséquilibre fiscal.

Les provinces sont donc, pour la grande majorité d’entre elles, tributaires de transferts financiers provenant du gouvernement fédéral, qui, parfois, les accompagne de conditions affectant leur autonomie. Cela crée un phénomène d’assujettissement progressif des provinces aux volontés et priorités fédérales. Trouver des solutions au déséquilibre fiscal constitue l’une des grandes priorités du Québec dans les débats en cours au sein de la fédération canadienne.

Le Québec cherche aussi à améliorer son rôle international. En effet, ma conception de l’affirmation du Québec dans le fédéralisme ne se limite pas au contexte canadien. Face aux défis de la mondialisation, il existe un besoin réel d’une contribution spécifiquement québécoise. Le Québec est interpellé au premier chef par des enjeux tels que la diversité culturelle et la diversité linguistique. Sa participation active à de tels débats me semble non seulement acceptable dans notre cadre fédéral, mais elle me paraît aussi nécessaire.

L’essor de la politique internationale du Québec est souvent considéré comme l’une des manifestations puissantes de son affirmation moderne. Dans sa volonté d’un rôle accru, le Québec n’est pas seul. Plusieurs entités politiques au sein d’États souverains, en particulier lorsque ces entités ont une vocation nationale, revendiquent et, de plus en plus, exercent des responsabilités à caractère international.

Certains travaux intergouvernementaux sur ces questions ont été entamés au sein de la fédération canadienne sous l’angle multilatéral. Des discussions sont en cours avec le gouvernement fédéral en ce qui a trait au rôle des provinces dans la négociation des traités et dans les relations Canada—États-Unis. Le Québec, bien sûr, y participe. Il favorise par ailleurs — et cela constitue pour lui un enjeu prioritaire — la conclusion d’arrangements bilatéraux avec le gouvernement fédéral afin de détenir une voix dans les forums internationaux portant sur des sujets qui touchent à sa spécificité, comme la langue, la culture ou l’éducation.

Dans ce portrait que je vous dessine, vous aurez remarqué que la notion de relations intergouvernementales revient souvent. Cela s’explique par l’importance, au Canada, de la tradition du « fédéralisme exécutif » où les rapports fédératifs s’expriment de façon prépondérante par des relations de gouvernement à gouvernement. Le Conseil de la fédération s’inscrit dans ce fédéralisme exécutif, constitué à la fois de relations fédérales-provinciales et de relations interprovinciales.

Le Conseil de la fédération a été créé le 5 décembre 2003. Par son avènement, les provinces veulent combler le vide important qui existe présentement en matière de collaboration intergouvernementale. En ce sens, un pas important a été franchi pour institutionnaliser les relations intergouvernementales.

Le Québec a proposé l’instauration d’un Conseil de la fédération comme lieu permanent d’échanges et de concertation entre les partenaires provinciaux et territoriaux. L’idée d’un Conseil de la fédération repose sur la prémisse fondamentale voulant que l’existence même des provinces, en tant que gouvernements autonomes, constitue une manifestation tangible des valeurs qui traduisent l’esprit fédéral. Autrement dit, les provinces sont et doivent rester à la base du projet fédéral. Ce sont elles, à titre d’entités constitutives, qui ont, à l’origine, fait le choix d’une forme fédérative de gouvernement pour le Canada.

Le Conseil de la fédération a pour objectif de renforcer les rapports entre les provinces et les territoires. Il permettra aussi de faciliter l’élaboration de positions communes, cohérentes et concertées, afin de devenir l’instrument d’un meilleur équilibre des rapports avec le gouvernement fédéral.

Le Conseil de la fédération n’est pas une instance de nature constitutionnelle. Il s’agit plutôt d’un instrument politique de coopération intergouvernementale. Les premiers ministres provinciaux ont fait part de leur volonté de faire de celui-ci une véritable institution, capable de s'approprier certains enjeux intergouvernementaux et de contribuer aux grandes orientations canadiennes de façon aussi importante que le fait le gouvernement fédéral.

Le Conseil de la fédération relève de la branche exécutive des dix provinces et des trois territoires qui le constituent et, partant, est piloté directement par les premiers ministres provinciaux et les leaders territoriaux. Sa présidence est assurée, à tour de rôle, par le premier ministre de chaque province, pour une période d’un an. Le Conseil possède un secrétariat permanent, situé à Ottawa, qui a pour fonction d’assister les premiers ministres des provinces et les leaders des territoires. En tant que nouvelle institution interprovinciale, le Conseil voit sa structure et sa pratique se développer graduellement.

Il est possible, pour les entités fédérées, de participer à cette institution de collaboration intergouvernementale qu’est le Conseil de la fédération, tout en conservant leur entière autonomie d’action et leur souveraineté dans les domaines de compétence que leur reconnaît la Constitution. Étant un instrument de concertation et de collaboration, le Conseil de la fédération ne porte pas atteinte aux pouvoirs, aux droits ni aux privilèges des provinces.

Évidemment, les gouvernements des provinces et des territoires ne seront pas toujours d’accord sur tout, mais nous sommes convaincus que par l’instauration d’un véritable partenariat entre les gouvernements provinciaux et territoriaux, conduisant ainsi au renforcement de l’interprovincialisme, il sera possible pour eux de reprendre les rênes de leurs propres champs de compétence et de faire progresser les rapports qu’ils entretiennent avec le gouvernement fédéral dans les matières de compétence partagée, afin d’améliorer le climat général des relations intergouvernementales.

Le Conseil, en février 2004, s’est fixé un plan de travail comprenant un certain nombre de priorités. Les voici sommairement : d’abord, le fédéralisme financier, dont cet important problème du déséquilibre fiscal dont je vous ai parlé; ensuite, le renforcement de l’union économique canadienne, en particulier par la diminution des barrières au commerce entre provinces et territoires. Troisièmement, le Conseil se penche sur les processus de nomination au sein d’institutions centrales comme le Sénat et la Cour suprême du Canada. Enfin, le Conseil est engagé dans des discussions concernant la participation des provinces à la négociation d’accords internationaux, lorsque leurs compétences sont en cause.

Un autre développement est à signaler, soit l’asymétrie fédérative, qui a reçu récemment une reconnaissance explicite au sein d’une entente intergouvernementale dans le domaine de la santé. L’asymétrie me paraît un autre moyen privilégié de favoriser l’expression de la spécificité québécoise.

L’asymétrie est un hommage à la souplesse et à l’adaptabilité de la formule fédérale, dans ce qu’elle a de classique et d’universel. L’asymétrie traduit l’idée voulant que le fédéralisme ne soit pas fait que d’une mise en commun de ressources, de valeurs et d’idéaux, mais qu’il repose aussi sur la diversité de ses composantes, sur la capacité de chacune d’elles de faire valoir son originalité et sur le droit intrinsèque de chacune d’elles de faire valoir sa différence. Bref, l’asymétrie est non seulement compatible avec le principe fédéral, elle lui est inhérente.

Les Canadiens et Canadiennes reconnaissent d’emblée que la diversité des composantes et des identités formant le tout canadien est une richesse pour le pays plutôt qu’un frein à son développement. La valorisation de cette diversité, celle de la multiplicité des réalités qui composent le Canada et celle de la variété des façons d’atteindre nos objectifs communs constituent l’essence même du fédéralisme et la principale raison du rejet, à la naissance du Canada en 1867, du modèle unitaire au profit du modèle fédéral.

L’asymétrie, en tant que véhicule de souplesse dans les rapports fédératifs, fait partie intégrante de la personnalité canadienne et s’impose d’elle-même, ne serait-ce qu’en raison de notre histoire, de notre géographie et de nos aspirations.

Comme bien des communautés dans le monde qui cherchent des solutions concrètes et viables d’aménagement de la diversité au sein des États, le Québec croit que la volonté et les besoins des communautés, des régions et des autres entités politiques peuvent être respectés, à la condition que l’on sache faire preuve d’une certaine souplesse. L’Histoire a démontré que, loin de saper l’unité nationale et de favoriser l’éclatement des pays, l’adoption de mesures asymétriques, spéciales, permet aux différentes composantes étatiques de coexister harmonieusement, réduisant ainsi les tensions et les différends.

Les Québécois et Québécoises croient qu’il faut donc tenir compte de la différence dans l’espace canadien en l’élevant au rang de valeur. Il faut également préserver la cohérence et la cohésion de l’ensemble ainsi que l’intégrité du principe fédératif. En d’autres termes, l’asymétrie comporte sa part de responsabilités, politiques et morales, en ce qui concerne l’ensemble des Canadiens et Canadiennes. Ces responsabilités, le Québec entend les assumer à l’égard de ses partenaires que sont les provinces et les territoires, notamment par l’entremise des relations, dialogues et consensus qui se développeront au sein du Conseil de la fédération.

Ainsi, par ses interventions, le Québec veut contribuer à faire progresser, à l’intérieur de la culture politique canadienne, son identité dans sa réalité contemporaine, et démontrer qu’il constitue une communauté démocratique, pluraliste, avancée et pleinement déterminée à relever les défis auxquels elle fait face.

Comme vous pouvez le constater, le Québec continue de se construire en participant pleinement à la revitalisation de la fédération canadienne. Des progrès restent à accomplir. Le déséquilibre fiscal pose notamment un important défi que la fédération canadienne doit relever.

Face à ces défis, notre gouvernement s’est donné de grands objectifs sur lesquels il concentrera ses efforts :

  • Premièrement, affirmer le Québec dans son identité propre. Cette identité vivante est culturelle et elle comporte une dimension linguistique, mais elle est aussi politique, sociologique et institutionnelle.
  • Deuxièmement, travailler à une meilleure reconnaissance par le Canada de la spécificité du Québec, car cette spécificité est l’une des bases historiques du fédéralisme canadien lui-même.
  • Troisièmement, accroître le rôle international du Québec. Je le réitère, ce rôle accru est pleinement compatible avec le cadre canadien.
  • Quatrièmement, replacer au cœur de nos rapports fédératifs la recherche de la participation et, surtout, du consentement véritable des ordres de gouvernement partenaire. Le gouvernement fédéral doit se départir de ses réflexes unilatéraux qui laissent le Québec à l’écart et lui imposent trop souvent comme fin de non-recevoir le principe de la majorité. En réponse au risque que représente la gouverne « d’un seul centre », c’est d’une pluralité de centres de vrai pouvoir d’État dont le Canada a besoin.
  • Cinquièmement, il faut donner au fédéralisme un meilleur équilibre et, surtout, trouver une solution au déséquilibre fiscal. La fédération doit s’avérer ce rempart contre la centralisation que le Québec recherche, sans pour autant verser dans une décentralisation qui serait d’une ampleur telle qu’elle risquerait de faire éclater le principe fédératif. Car il faut bien le dire, dans un contexte fédératif, une décentralisation trop importante des pouvoirs est aussi néfaste qu’une centralisation trop importante. Ce qu’il faut atteindre, c’est plutôt un point d’équilibre entre les tendances centralisatrices et décentralisatrices.

Chers amis, Mesdames et Messieurs les Parlementaires, voilà un aperçu de l’approche que le gouvernement du Québec a choisi de privilégier afin de préserver les caractéristiques qui font de sa société un exemple unique en Amérique du Nord, un exemple dont les Québécois et les Québécoises, de toutes origines, sont fiers. Ces caractéristiques sont à la source de notre identité, et leur vitalité doit être affirmée, respectée et reconnue au sein de la fédération canadienne, afin de lui insuffler ce dynamisme qui a marqué historiquement le Québec, cette pluralité qu’il partage avec ses autres partenaires canadiens et cette recherche de l’équilibre des intérêts, dans un dialogue qui ne sera jamais achevé. Car notre fédération est née pour évoluer.

Le Québec et la Catalogne sont engagés dans une démarche d’affirmation. C’est bel et bien de réalités nationales dont nous parlons ici, et non pas de simples régions ou collectivités locales. Les nations se distinguent des entités administratives par leur effervescence culturelle, leur dimension politique et leur prédestination à l’autonomie.

Cela ne veut toutefois pas dire que la souveraineté étatique, acquise ou non dans un contexte de sécession, soit la seule voie possible pour les nations. Au contraire, il est possible pour les nations de chercher à s’accomplir dans des espaces et des structures plus vastes. C’est le cas pour le Québec dans l’ensemble canadien. Ce peut être le cas aussi pour la Catalogne au sein de l’Espagne.

Peu importe le contexte juridico-politique dans lequel s’expriment les nations québécoise et catalane, il est clair que celles-ci devront continuer à se définir d’une façon inclusive, ouverte et accueillante.

En effet, l’avenir des nations, grandes et petites, n’est pas dans l’exaltation d’un nationalisme obtus et exclusif, mais plutôt dans l’ouverture sur les autres et dans un cheminement véritablement pluraliste.

Je vous remercie.

 


1. Georges Dupuis, « Centralisation » dans Olivier Duhamel et Yves Mény, dir., Dictionnaire constitutionnel, Paris, P.U.F., 1992, p.118.