La version prononcée fait foi.
Allocution prononcée par monsieur Benoît Pelletier, ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et aux Affaires autochtones dans le cadre de la conférence Le Canada dans le monde organisée par l’Institut d’études canadiennes de l’Université McGill
gracieusement offert l’occasion d’échanger avec vous. Je m’en voudrais de ne pas remercier tout spécialement la principale de l’Université McGill, Mme Heather Munroe-Bloom. Je rends également hommage à la directrice de l’Institut d’études canadiennes de cette université, Mme Antonia Maioni. En organisant chaque année une grande conférence portant sur un enjeu stratégique pour notre fédération, cet institut a su créer un rendez-vous incontournable pour les spécialistes des études canadiennes. J’ai l’honneur d’en souligner avec vous cette dixième édition qui a retenu un thème dont la pertinence ne fait aucun doute, soit Le Canada dans le monde.
La mondialisation et la modernité avancée nous imposent une redéfinition de nos rapports avec le monde extérieur. Ce n’est pas par hasard si une nouvelle politique internationale canadienne est en cours d’élaboration. Le gouvernement du Québec est chargé, pour sa part, d’assurer l’essor d’une société moderne, majoritairement francophone et résolument nord-américaine. Il doit aussi favoriser la prospérité d’une économie fondée, à hauteur des deux tiers, sur son commerce extérieur. Vous comprendrez aisément qu’il accomplisse aussi son devoir de réflexion. C’est pourquoi ma collègue, la vice-première ministre et ministre des Relations internationales, Mme Monique Gagnon-Tremblay, élabore présentement un nouvel énoncé de politique sur les affaires internationales pour le Québec.
Vous savez que l’action internationale du Québec découle du cadre constitutionnel de notre pays. Mon propos d’aujourd’hui vise à l’inscrire dans toute la modernité et le dynamisme du fédéralisme canadien. Quelques années d’enseignement universitaire m’ont inculqué certaines habitudes. L’une d’entre elles consiste à amorcer une communication par un survol du panorama général.
Le premier ministre du Québec, M. Jean Charest, disait récemment que notre élection d’avril 2003 lançait un défi, aussi bien aux partisans de la séparation qu’à ceux du statu quo. Trois thèmes fondent la vision d’ensemble de notre gouvernement : affirmation, autonomie et leadership. Notre action est premièrement fondée sur l’affirmation du Québec. Le Québec a toutes les raisons d’être fier de son identité et de vouloir la renforcer et la faire valoir au Canada et dans le monde. Elle repose, deuxièmement, sur l’autonomie. Être fédéraliste, c’est être forcément autonomiste. Le gouvernement fédéral n’a pas le monopole de la définition du bien commun. La Cour suprême définit la souveraineté du Canada, dans une perspective fédérale, par une addition de la souveraineté de l’État fédéral et de celle des provinces dans leurs champs de compétence respectifs. On ne saurait donc se dire attaché au fédéralisme canadien sans insister du même souffle pour que soit maintenue la capacité, pour le Québec et les autres provinces, d’exercer sans entraves les responsabilités qui leur sont conférées par la Constitution.
Troisièmement, nous souhaitons redonner au Québec le leadership qu’il a historiquement assumé dans l’espace canadien. Ce leadership s’exprime autant dans ses relations avec les autres provinces, ce que nous appelons l’« interprovincialisme », qu’avec le gouvernement fédéral. Voilà pourquoi nous avons enrichi la dynamique canadienne en ralliant les provinces à la création d’un Conseil de la fédération. Ce lieu de concertation favorise un rôle accru des provinces dans la prise des grandes décisions canadiennes. Comment appliquer cette vision d’ensemble à la réalité canadienne? Le gouvernement du Québec propose cinq principes devant guider la coexistence des deux ordres de gouvernement. Il s’agit du respect, de l’asymétrie, de l’exigence de règles, de l’équilibre et de la coopération. Pour le Québec, il ne fait aucun doute que leur pertinence ne se limite pas aux rapports entre le gouvernement fédéral et les provinces en matière de politiques intérieures. Ces cinq principes s’étendent également à la sphère des relations internationales, surtout à notre époque où la mondialisation entraîne dans leur orbite la plupart des enjeux jadis considérés comme internes.
Le premier principe rappelle que la coopération intergouvernementale commande le respect des compétences, de l’expertise et des choix de chacun. Une certaine conception du Canada s’obstine à prêter à Ottawa une compétence exclusive en matière de relations internationales. Cette école de pensée trouve écho dans certaines pages éditoriales, mais non dans le texte de la Constitution qui, outre la question des traités signés par l’Empire britannique, observe depuis 1867 un mutisme complet sur le sujet. L’avènement des premières institutions multilatérales et l’affirmation internationale du Canada, entre les deux guerres, forcent un premier éclairage des tribunaux. En 1937, le Comité judiciaire du Conseil privé de Londres statue que la mise en oeuvre des traités internationaux relève des provinces, lorsque leurs compétences sont en cause. Vous conviendrez que le pouvoir de mettre en oeuvre des traités est indissociable de leur négociation, ce qui présuppose l’exercice d’une certaine activité internationale. Le gouvernement du Québec a insisté, à de nombreuses reprises, sur cet état du droit. Plus récemment, le premier ministre du Québec réitérait que « ce qui est de compétence québécoise chez nous, est de compétence québécoise partout ».
L’environnement international est aujourd’hui complètement différent de ce qu’il était il y a à peine quinze ans. Les grandes puissances et les États centraux ont, dans les faits, perdu leur monopole sur les affaires mondiales. De nouveaux acteurs ont émergé. Songeons, par exemple, que la prohibition des mines antipersonnel est l’oeuvre d’une poignée de groupes et de personnalités ayant surmonté, avec un succès inespéré, l’opposition initiale de la plupart des membres permanents du Conseil de sécurité des Nations Unies. Les organisations non gouvernementales et les sociétés transnationales semblent désormais indissociables de l’équation internationale. Si le gouvernement fédéral souhaite lui-même favoriser le rayonnement d’institutions provinciales à l’étranger, telles que les villes et les universités, comment peut-on nier le rôle international des provinces elles-mêmes?
S’il compte parmi les États fédérés nord-américains les plus présents sur la scène internationale, le Québec est loin de faire cavalier seul. L’Ontario et l’Alberta sont de plus en plus actifs. Les gouverneurs américains multiplient les missions commerciales à l’étranger. Des États comme la Californie et l’Illinois ont des bureaux commerciaux partout dans le monde. En Europe, le dynamisme international de nos partenaires belges n’est plus à démontrer. Nos amis bavarois déploient des efforts importants, notamment au sein de l’Union européenne. On voit émerger une nouvelle forme de multilatéralisme entre des États non souverains qui souhaitent une solidarité plus directe, appuyée par des projets de coopération concrets. Des entités aussi importantes et dûment élues peuvent difficilement se contenter d’un statut international comparable à celui des ONG. Les solutions fédératives les plus récentes tendent heureusement à les accommoder.
La mondialisation brouille la démarcation entre politiques extérieures et intérieures. Elle comporte des incidences de plus en plus marquées sur tous les ordres de gouvernement et sur tous les aspects de l’activité humaine. La culture, la santé, le travail, l’éducation, le développement économique, l’énergie, l’environnement, l’agriculture, la sécurité, l’immigration et l’adoption, pour ne nommer que ceux-là, font tous partie, au Canada, des responsabilités exclusives des provinces ou sont des compétences partagées. Dans un tel contexte, comment peuvent-elles rester en marge du monde extérieur? C’est pourquoi, outre l’affirmation internationale de sa spécificité, le Québec doit avoir voix au chapitre dans les lieux où sont prises les décisions et où sont élaborées les normes qui influent sur les domaines qui relèvent de sa responsabilité.
Le fédéralisme ne programme pas la fusion de ses entités dans un creuset unique. Il permet plutôt à celles-ci de préserver leur identité propre, tout en les faisant participer à un projet plus vaste et en leur faisant partager des valeurs qui les transcendent. Le deuxième principe, soit celui de l’asymétrie, ne tient ni du slogan, ni de la nouveauté. L’asymétrie rend hommage à la souplesse et à l’adaptabilité de la formule fédérale dans ce qu’elle a de plus classique et d’universel. Elle revêt des formes tantôt constitutionnelles, comme l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867, sur l’usage des langues française et anglaise au Québec, tantôt financières, à l’image de la péréquation, tantôt législatives, ainsi que le suggère le dernier paragraphe de l’article 91 de la Loi constitutionnelle de 1867, qui vient en quelque sorte rappeler que l’exercice d’une compétence fédérale peut, selon le cas et les contextes, impliquer certaines considérations à caractère local. L’asymétrie peut aussi revêtir des formes administratives, autant en matière de santé, comme l’entente de septembre 2004, que d’immigration, à l’instar de l’Accord McDougall/Gagnon-Tremblay de 1991 qui prévoit la gestion conjointe d’un domaine à incidence internationale. Cet accord incarne une formule éprouvée d’asymétrie, certes, mais dans un esprit de coopération qui ne s’est jamais démenti.
Dans sa définition contemporaine, l’asymétrie valorise la diversité, par opposition à une simple tolérance ou à un accommodement de fortune. Elle ne désigne pas une option, mais bien une composante intrinsèque du fédéralisme. En matière internationale, elle permet de conférer, par exemple, au Québec un statut de gouvernement participant au sein de l’Organisation internationale de la Francophonie. Quel que soit le parti formant la majorité à l’Assemblée nationale, cette présence du Québec dans la Francophonie prouve depuis une trentaine d’années qu’il est possible de faire entendre sa voix sans sombrer dans la cacophonie ou le dénigrement du fédéralisme canadien, ou encore sans porter atteinte à la politique étrangère du pays. Ce n’est donc pas un précédent qu’il faut à tout prix circonscrire, mais plutôt un modèle à reproduire dans d’autres enceintes internationales. Bien entendu, les questions relatives à notre spécificité, à notre langue, à notre culture, à notre système d’éducation et à notre droit privé nous viennent d’abord à l’esprit. Nous pensons à l’UNESCO où se négocie présentement une convention sur la diversité des expressions culturelles. Mais le compas de nos compétences et de nos intérêts trace un périmètre plus large.
Le troisième principe, c’est l’exigence de règles. Il vise à concilier les règles avec les pratiques, à prévenir l’arbitraire et les faux débats. Il préconise l’accompagnement des relations internationales du Québec par un cadre prévisible.
Le Québec s’intéresse depuis longtemps aux organisations et aux négociations internationales qui touchent à ses compétences et à ses intérêts. Il participe de façon constructive, au sein des délégations canadiennes, à des sommets marquants, comme celui de Rio en 1992, ou de Johannesburg, dix ans plus tard. Le gouvernement du Québec apporte aussi une précieuse contribution aux positions canadiennes dans l'élaboration des accords internationaux. Cependant, sa participation varie d'un dossier à l'autre en fonction des personnalités du moment et des aléas de la conjoncture. L’évolution rapide de la situation mondiale et ses conséquences, très lourdes pour les intérêts et les responsabilités du Québec, rendent de plus en plus inacceptable l’absence d’un cadre formel et prévisible. Des normes internationales plus ou moins contraignantes se multiplient. Nous avons le choix de les subir ou d’en influencer le contenu, de façon à appuyer nos représentants canadiens. Nos codes d’accès au monde ne peuvent plus être assujettis au bon vouloir des représentants du gouvernement fédéral du moment.
Le premier ministre du Canada a déjà manifesté une ouverture sans équivoque. Nous sommes persuadés que cette ouverture se concrétisera bientôt par la conclusion d’ententes qui permettront d’établir une série de règles protégeant l’action internationale du Québec et de ses partenaires provinciaux de l’incertitude à laquelle nous nous heurtons hélas trop souvent. Des discussions sont en cours sur le plan intergouvernemental. Le Québec y participe. J’ai eu aussi le mandat d’entamer des négociations directes avec le gouvernement fédéral, en étroite concertation avec la vice-première ministre et ministre des Relations internationales, Mme Monique Gagnon-Tremblay. Je tiens à souligner sa précieuse collaboration. C’est elle qui règle la conduite de nos relations internationales, y compris nos rapports avec les organisations internationales. Je suis heureux de pouvoir compter sur son expertise et sur son appui.
Le quatrième principe concerne l’équilibre fiscal et politique. Il vise à empêcher qu’une dérive particulière ne dénature le rapport normal entre les deux ordres de gouvernement et ne favorise l’immixtion de l’un dans les affaires de l’autre. Au Canada, il existe un déséquilibre fiscal dont l’évidence en force l’admission par toutes les provinces et tous les territoires, ainsi que par une majorité des députés de la Chambre des communes. Ce déséquilibre est à la source de pratiques, comme l’exercice, par le gouvernement fédéral, de son prétendu pouvoir de dépenser sans égard au partage des compétences, pratiques qui vont à l’encontre de l’esprit fédéral.
Ce grave problème structurel mine la capacité d’innovation des gouvernements provinciaux au profit d’Ottawa. Il laisse entrevoir une perspective peu favorable à l’affirmation du Québec, y compris sur le plan international. Notre spécificité fait déjà face à la loi du nombre. Elle ne peut, au surplus, être compromise par une sorte d’attrition fiscale.
Le cinquième principe, c’est la coopération. Si les problèmes tendent à devenir transfrontaliers, il en va ainsi des solutions. La résurgence de menaces planétaires, comme le terrorisme international, la complexité d’enjeux régionaux liés à l’énergie, à l’environnement et la santé publique, l’accélération des mouvements de personnes, de biens, de services et de capitaux, cernent différents phénomènes. Tous appellent à des actions concertées. Au même titre que l’interdépendance caractérise les rapports externes du Canada, une meilleure coopération s’impose entre les deux ordres de gouvernement, notamment pour relever le défi de la mondialisation.
Comme je l’ai déjà évoqué, la politique étrangère canadienne doit s’exercer dans le respect du prolongement international des compétences provinciales. Mais l’inverse est aussi vrai. Le gouvernement fédéral détient une personnalité juridique internationale qui encapsule un noyau dur, un domaine réservé comprenant la défense, la sûreté de l’État, l’octroi du statut diplomatique et de certaines immunités, la reconnaissance des États étrangers, les douanes et les tarifs. Par la force des choses, cette personnalité juridique et ce domaine réservé confèrent à Ottawa le privilège de déterminer certaines orientations fondamentales de la politique étrangère. La participation des provinces aux relations internationales, tout comme l’affirmation du Québec à l’étranger, doit tenir compte de cette réalité.
Certains partisans d’une vision centralisatrice associent une action internationale plus soutenue de la part des provinces à un réel danger pour l’unicité de la voix canadienne à l’étranger et pour l’image de marque du pays. Examinons la réalité de plus près. Le Québec demeure, il est vrai, la province canadienne la plus active à l’étranger et celle qui compte la plus longue pratique. Celle-ci remonte au XIXe siècle. Le Québec compte des bureaux dans plus d’une vingtaine de pays et d’États étrangers. Il entretient des relations directes et privilégiées avec la France depuis près d’un demi-siècle. L’ouverture de sa délégation générale à New York remonte à 1940.
Le volontarisme international et la spécificité du Québec le prédisposent-ils à souffrir d’insubordination chronique à l’endroit de la politique étrangère canadienne? Le bilan global des différents gouvernements qui se sont succédé à Québec est éloquent. Examinons tour à tour, sur une période de vingt ans, les débats internationaux ayant soulevé la plus vive controverse au Canada, soit le libre-échange avec les États-Unis, l’ALENA, le Protocole de Kyoto et la question irakienne. Le Québec fut la seule des quatre grandes provinces canadiennes à soutenir la position canadienne à l’égard de tous ces dossiers, et de façon indéfectible. Cet appui québécois s’est révélé décisif dans les deux premiers cas et stratégique dans les deux derniers. Le Québec, province canadienne la plus active sur le plan international, n’est donc pas une menace à la politique étrangère canadienne. Elle s’est au contraire avérée, au fil des années, son meilleur appui.
La coexistence du prolongement international des compétences du Québec avec la politique étrangère du Canada est un modèle de complémentarité dans l’action. Ce modèle doit être préservé et mieux encadré, à commencer par notre participation aux organisations, conférences et négociations internationales touchant à nos compétences et à nos intérêts.
Sans parler pour l’ensemble du pays, ce qu’il n’a jamais réclamé, ni se prendre pour un État souverain, le Québec doit bénéficier d’une place de choix sur la scène internationale et d’un droit de parole, dans une perspective fédérale, lorsque les thèmes discutés concernent ses compétences ou touchent à sa spécificité.
Le défi des grands ensembles est d’achever une identité globale commune, mais inclusive et sensible aux diverses réalités qui les composent. Nous proposons cinq principes pour parfaire l’espace canadien. Ces principes trouvent une application universelle, à commencer par le champ de nos relations internationales, un terreau fertile entre tous. Des solutions concrètes sont à portée de main. Nous ne demandons pas mieux que de prouver, une fois de plus, que l’ensemble canadien correspond à un projet commun respectant les différences.