La version prononcée fait foi.
Allocution du ministre délégué aux Affaires intergouvernementales canadiennes et aux Affaires autochtones M. Benoît Pelletier devant l’Institut 2005 de l’Association du Barreau de l’Ontario
Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs,
Je tiens d’abord à remercier le Comité des langues officielles de l’Association du Barreau de l’Ontario de m’avoir invité à échanger ces quelques propos avec vous à l’occasion de la tenue de l’Institut 2005. Comme vous le savez probablement, j’ai été professeur de droit à l’Université d’Ottawa pendant de nombreuses années avant de faire le saut en politique active. Je suis donc heureux de me trouver devant un auditoire averti de juges et d’avocats francophones et francophiles ayant tous à coeur la promotion de l'usage du français au sein de l'administration de la justice en Ontario et au Canada.
Depuis son arrivée au pouvoir, le gouvernement dont je fais partie a résolument axé son action sur une revalorisation de la place que le gouvernement du Parti Québécois avait négligé d’occuper au sein de la fédération canadienne, compte tenu de ses choix politiques. Notre formation politique estime en effet que le peuple québécois peut s’épanouir pleinement dans le cadre fédératif canadien. Elle estime également que le Québec peut et doit exercer un leadership afin de redevenir le chef de file en matière de francophonie au Canada et un acteur politique clé, ainsi qu’il l’a historiquement été dans l’espace canadien. Nous nous sommes donc assurés que le Québec consolide sa présence au Canada et qu’il accentue et approfondisse ses relations avec ses partenaires, sur des bases multilatérales et bilatérales.
C’est pour cette raison que, dès son entrée en fonction, le premier ministre, M. Jean Charest, a proposé à ses collègues des autres provinces et territoires la création du Conseil de la fédération. Mis sur pied à la suite de la Conférence des premiers ministres tenue à Charlottetown, à l’Île-du-Prince-Édouard, le 5 décembre 2003, le Conseil de la fédération se veut un lieu permanent d’échanges et de concertation visant à favoriser la participation des provinces et territoires à la gouverne de la fédération, notamment par le renforcement leur voix par rapport à celle du gouvernement fédéral, dans l’optique d’un meilleur équilibre des rapports fédératifs. En moins d’un an, le Conseil a déjà donné lieu à quatre réunions des premiers ministres et joué un rôle majeur dans la signature, en septembre dernier, de l’entente fédérale-provinciale sur le financement des soins de santé.
Sur le plan bilatéral, la participation active du Québec à la vie fédérative se traduit par une volonté d’intensifier sa coopération avec ses partenaires des provinces et territoires. Le Québec souhaite ainsi réviser et actualiser les accords existants et en conclure de nouveaux. Ainsi, le Québec a signé, en octobre dernier, deux ententes de coopération en matière de francophonie avec l’Alberta et le Yukon. Il travaille de plus à finaliser les modalités d’une entente de même nature avec la Colombie-Britannique. En outre, des ententes globales de coopération sont en négociation ou en voie de l’être avec les trois provinces frontalières du Québec, c’est-à-dire l’Ontario, le Nouveau-Brunswick ainsi que Terre-Neuve-et-Labrador. À cet effet, les négociations vont bon train avec le gouvernement de l’Ontario et nous avons bon espoir de pouvoir annoncer, au cours des prochaines semaines, la signature d’une nouvelle entente globale qui vienne remplacer les ententes de 1969 et 1994 déjà intervenues entre nos deux gouvernements. Enfin, une démarche similaire vient d’être amorcée avec le gouvernement du Nouveau- Brunswick. Ces ententes globales de coopération contiendront d’importantes mesures en ce qui touche la francophonie
On peut donc affirmer sans l’ombre d’un doute que le Québec, plus que jamais, a repris sa place sur l’échiquier politique canadien et qu’il y exerce un leadership comme il ne l’a jamais fait dans l’histoire récente du Canada.
Si, au Secrétariat aux affaires intergouvernementales canadiennes, l’année 2004 a été celle de la relance de nos relations avec nos partenaires de la fédération canadienne, nous pouvons d’ores et déjà affirmer que 2005 sera l’année de la francophonie canadienne.
En effet, j’ai indiqué à maintes occasions, depuis mon entrée en fonction, que le temps était venu de réfléchir ensemble à l’état des relations entre le Québec et les communautés francophones et acadienne. Force est de constater que le contexte dans lequel s’insère la problématique liée à la pérennité du fait français au Canada a évolué de façon notable au cours des dernières années. Cette situation est imputable à de multiples facteurs auxquels nous faisons tous face, dont la mondialisation, l’intégration économique des Amériques, le combat en faveur du respect de la diversité culturelle et la situation démographique fragile que vivent les francophones partout au pays, y compris au Québec.
Un autre facteur d’évolution réside dans le fait que les francophones se sont dotés, à divers degrés, d’une gamme accrue d’institutions et d’associations afin de mieux marquer leur présence partout au Canada; des gains appréciables ont d’ailleurs été obtenus sur ce chapitre. Les années 90 ont en effet vu le réseau institutionnel de la francophonie canadienne prendre une expansion remarquable, notamment dans les domaines de l’éducation et de la santé. Les communautés francophones et acadienne ont ainsi été en mesure de consolider leurs acquis et de prendre en main la gestion de certains secteurs d’activité, tout en développant de nouveaux services en français dans des domaines jugés essentiels à leur développement. Je pense notamment aux secteurs de l’immigration et de la petite enfance.
Tous ces facteurs font en sorte que l’avenir de la langue et de la culture françaises au Québec, au Canada et dans les Amériques est étroitement lié à leur rayonnement à l’échelle planétaire.
Dans ce contexte, la politique et les outils de développement que le Québec s’est donnés, il y a dix ans, ne correspondent plus aux objectifs qu’il partage avec les francophones du pays et ne permettent plus vraiment de répondre aux besoins pour lesquels ils ont été élaborés. C’est ainsi qu’au cours de la dernière année, le gouvernement du Québec a entrepris plusieurs actions visant à favoriser une meilleure intégration et une meilleure concertation du Québec au sein de la francophonie canadienne. J’ai eu, depuis mon entrée en fonction, l’occasion de rencontrer, dans toutes les régions du Canada, des représentants des communautés francophones et acadienne. J’ai également discuté, à quelques reprises, avec mes collègues responsables des affaires francophones des provinces et territoires. Ces échanges m’ont permis de mieux apprécier la richesse et la diversité de la francophonie canadienne, les aspirations des communautés, ainsi que les interventions des gouvernements provinciaux et territoriaux dans ce domaine.
Le gouvernement du Québec a également amorcé une vaste révision de ses politiques publiques, de ses programmes d’appui financier, de ses missions et de ses façons de faire. C’est dans ce contexte de modernisation, de mondialisation, d’intégration économique continentale, de défense de la diversité culturelle, de fragilité démographique et de croissance institutionnelle que le gouvernement du Québec a décidé de se doter d’une nouvelle Politique québécoise sur la francophonie canadienne. Ce chantier, auquel nous avons donné le coup d’envoi en organisant un Forum sur la francophonie en mai dernier, reflète notre volonté et notre détermination de travailler de concert, comme membre à part entière de la grande famille francophone du Canada, au bénéfice mutuel de toutes ses parties. Ainsi, fruit d’une vaste consultation auprès des communautés francophones et acadienne ainsi que des Québécois, cette nouvelle politique gouvernementale reposera sur une vision renouvelée de la francophonie canadienne, soit :
La nouvelle politique réaffirmera également un certain nombre de valeurs que partagent toutes les entités de la francophonie canadienne. Ces valeurs sont la solidarité, qui repose sur des relations égalitaires et dynamiques entre francophones; la dualité linguistique, caractéristique fondamentale du Canada qui ne pourra être maintenue qu’au moyen d’une francophonie canadienne unie et vivante; la coopération entre francophones, déterminante pour assurer la pérennité du fait français au Canada; et le pluralisme des composantes de la francophonie au Canada et dans les Amériques, qui contribue à la diversité culturelle au sein même de la francophonie et dans le monde.
Cette politique rassemblera les francophones du Canada autour de quatre objectifs communs. Premièrement, la politique favorisera une meilleure connaissance réciproque ainsi qu’une meilleure compréhension des réalités de chacune des composantes de la francophonie canadienne. Deuxièmement, elle encouragera le développement et le renforcement des liens de coopération entre le Québec et les communautés vivant en situation minoritaire. Troisièmement, elle assurera un meilleur positionnement de la francophonie canadienne comme pôle majeur dans les Amériques, ce qui constituera un nouvel objectif par rapport à la politique adoptée par le gouvernement précédent, en 1995. Quatrièmement, elle incitera les francophones et les francophiles de tout le continent à défendre et à promouvoir davantage le fait français. Ce dernier objectif sera également un ajout par rapport à ceux qui figuraient dans la politique de 1995.
La politique proposera en outre de nouvelles approches de coopération, ainsi que des mécanismes de concertation et des programmes d’appui financier redéfinis afin que les moyens dont nous disposons soient adaptés aux réalités auxquelles la francophonie canadienne fait maintenant face. La concertation visera non plus à retenir les projets à la pièce a des fins de subvention, mais bien à établir une planification régulière tenant compte des champs d’intérêt de chacun, des enjeux communs, de même que des occasions mutuelles de collaboration. Les parties devront également susciter l’émergence et le développement d’initiatives dans divers secteurs d’activité prioritaires, de part et d’autre.
Enfin, la portée des interventions du Québec débordera les secteurs actuellement couverts par la politique de 1995, soit la culture, les communications, l’économie, l’éducation ainsi que la santé. Le gouvernement du Québec pourra donc appuyer des initiatives provenant d’autres secteurs tels que l’immigration, la petite enfance et la justice.
L’accès à la justice en français est en effet un enjeu qui mobilise les forces vives des communautés francophones et acadienne du Canada. Celles-ci sont, en règle générale et pour diverses raisons, peu satisfaites des services juridiques offerts en français — ou qui devraient l’être — dans les provinces et territoires où elles se trouvent, bien que le degré d’accessibilité varie grandement d’une province à l’autre. Parmi les sources d’insatisfaction, mentionnons des lacunes face aux obligations linguistiques contenues dans le Code criminel, ainsi que face au recrutement et à la formation de juristes bilingues. Des besoins existent également en matière de production d’outils de prévention en français.
Au cours des dernières années, les communautés francophones et acadienne ont obtenu du gouvernement fédéral et de ceux des provinces et territoires l’adoption de mesures concrètes afin de pallier ces manques. D’une part, le gouvernement fédéral, dans son Plan d’action pour les langues officielles dévoilé en mars 2003, prévoit une enveloppe de 18,5 M$ étalée sur cinq ans afin d’améliorer l’accès aux services judiciaires et juridiques, notamment en français. D’autre part, plusieurs provinces ont mis sur pied des projets pilotes qui ont apporté des améliorations notables en matière d’égalité et de qualité des services offerts dans les deux langues, tels le modèle de guichet unique implanté au Manitoba et l’instauration en Saskatchewan d’une cour provinciale itinérante, dotée d’un personnel bilingue, modèle qui a été repris par d’autres provinces.
De telles initiatives ont permis aux communautés de faire connaître leur point de vue et leurs besoins en matière d’administration de la justice. Elle témoignent également, à mon sens, d’une sensibilisation accrue des gouvernements aux problèmes vécus par les communautés francophones et acadienne. À cet égard, il me semble que le gouvernement du Québec pourrait apporter son aide en matière d’administration de la justice en français. Il faudrait déterminer les besoins à propos desquels le Québec possède déjà une expertise et assurer un meilleur arrimage de ces domaines avec les gouvernements des autres provinces et territoires.
Au fil des ans, le Québec a su développer des outils novateurs et une expertise juridique reconnue à travers le monde. De même, il a conçu des programmes qui, bien qu’en français compte tenu des besoins québécois, peuvent profiter à l’ensemble de la population des autres provinces et territoires. Je pense notamment au régime de perception automatique des pensions alimentaires, au programme de médiation familiale, à l’expertise développée en matière de petites créances et tout particulièrement au programme Éducaloi. On m’a d’ailleurs informé que ce dernier programme, dont l’objectif est de favoriser une meilleure connaissance des lois et du système judiciaire par des outils de vulgarisation et d’information juridique mis à la disposition du grand public, intéresserait grandement le milieu juridique des autres provinces et territoires, tant chez les francophones que chez les anglophones.
Dans ce contexte, le gouvernement du Québec serait disposé, à la demande des gouvernements provinciaux et territoriaux et dans le cadre des ententes de coopération interprovinciale, à s’associer à des initiatives de transfert d’expertise afin d’améliorer l’accès aux services judiciaires et juridiques en français au sein des communautés francophones et acadienne. De telles initiatives pourraient toucher notamment le perfectionnement linguistique, la terminologie, l’information et la vulgarisation juridique.
Bien entendu, on doit tenir compte du fait que le Québec possède son système de droit privé, le droit civil, différent de la Common Law. Je demeure toutefois persuadé et souhaite vivement que des initiatives conjointes de transfert d’expertise, sous l’égide de la coopération interprovinciale, émergent au cours des prochaines années.
Comme M. Charest l’a annoncé dans son discours inaugural, le 4 juin 2003, le gouvernement du Québec créera un Centre de la francophonie dans les Amériques afin de promouvoir les liens entre les francophones et les francophiles à l’échelle continentale. Cette nouvelle institution, qui sera située à Québec, aura pour mission d’assurer le renforcement des liens entre les francophones du continent afin que soient favorisés la connaissance, le rayonnement, l’affirmation et la promotion du fait français, participant ainsi au maintien d’une diversité culturelle riche, essentielle à son épanouissement.
Ainsi, en matière de recherche, le Centre contribuera à l’approfondissement et à la diffusion des savoirs et à la recherche sur la francophonie dans ses dimensions canadienne et continentale. Pour ce faire, il organisera des colloques, des séminaires ou des ateliers rassemblant des chercheurs autour de thèmes choisis, en collaboration étroite avec les réseaux en place. Il mettra sur pied et alimentera un centre de documentation tout en publiant sur une base régulière des ouvrages scientifiques.
En ce qui a trait à la promotion et à la diffusion, le Centre contribuera à une meilleure connaissance des différentes composantes de la francophonie et favorisera les échanges entre celles-ci en ciblant, notamment, les domaines culturel, social, éducatif, scientifique et économique. En outre, il assurera la promotion de la langue et de la culture françaises dans tous les domaines de son expression, notamment par la diffusion de créations et de productions telles que des spectacles, la projection de films, l’organisation de tables rondes, de semaines thématiques ou de soirées littéraires et de débats. Il animera notamment un centre d’interprétation ouvert au grand public et ayant pignon sur rue dans le secteur touristique de la ville de Québec.
Sur le plan de la concertation, le Centre participera à l’émergence d’une plus grande fierté linguistique et culturelle des francophones du Canada et des Amériques. À cette fin, il rassemblera à intervalles réguliers des représentants des communautés francophones de partout sur le continent autour d’un thème touchant un secteur donné afin que soient mobilisées les forces vives de la francophonie. De même, il suscitera l’émergence de jumelages institutionnels sur une base géographique et soutiendra des missions économiques. Ces initiatives viseront notamment la clientèle jeunesse et celle du monde des affaires.
Enfin, le Centre mettra en oeuvre les éléments de la politique québécoise sur la francophonie canadienne, notamment les mécanismes de concertation et un programme d’aide financière.
Nous espérons inaugurer le Centre dans un horizon de deux ou trois ans. Nous avons déjà amorcé les travaux préparatoires qui nous y conduiront et nous entreprendrons, au cours des prochaines semaines, une série de rencontres préliminaires avec les principaux organismes intéressés par sa mise sur pied, et particulièrement avec les principaux représentants des communautés francophones et acadienne.
Comme vous pouvez le constater, le gouvernement du Québec s’est résolument engagé à relever le défi qui se pose à nous, francophones du Québec, du Canada et des Amériques, soit celui de vivre en français et de faire rayonner une francophonie moderne dans tous les secteurs d’activité, d’en assurer un positionnement renouvelé et d’en affirmer davantage la présence sur les plans social, économique, culturel, politique et juridique.
J’ai l’intime conviction que la francophonie en Amérique a un avenir et c’est en affirmant tous ensemble notre caractère français que notre présence sur le continent américain prendra tout son sens, sera une source de fierté et un atout reconnu de tous.
Je vous remercie!