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Ontario, le 12 mai 2005 Conférence de l'Institut des relations intergouvernementales

La version prononcée fait foi.

Allocution du ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes, de la Francophonie canadienne, de l’Accord sur le commerce intérieur, de la Réforme des institutions démocratiques et de l’Accès à l’information, M. Benoît Pelletier, Dans le cadre de la conférence de l'Institut des relations intergouvernementales

Looking Backward, Thinking Forward

Université Queen’s de Kingston (Ontario)

Monsieur Lazar, Monsieur Conway, Mesdames et Messieurs,

J’ai le plaisir d’être parmi vous ce soir pour célébrer le 40e anniversaire de l’Institut des relations intergouvernementales. Cela m’est d’autant plus agréable que le thème de la conférence, Looking Backward, Thinking Forward, reflète bien la préoccupation qui anime le gouvernement du Québec en matière de relations intergouvernementales et de fédéralisme depuis avril 2003. L’actuel gouvernement du Québec juge qu’il est particulièrement important, lorsque l’on considère l’avenir du fédéralisme canadien, de le faire à la lumière des motivations qui ont conduit au choix fédératif de 1867. Il est, selon moi, essentiel de faire le pont entre les valeurs qui animaient le fédéralisme canadien à sa naissance et l’orientation que nous souhaitons lui voir prendre, afin que nous puissions tous atteindre, collectivement et individuellement, notre plein potentiel.

Comme je l’exposais lors d’une allocution que j’ai eu le privilège de prononcer ici même en octobre 2003, la formule fédérale, dans ses aspects universels, repose sur certaines valeurs fondamentales :

  • premièrement, le respect de la Constitution, de ses institutions et du partage des compétences législatives;
  • deuxièmement, le respect du rôle constitutionnel de chaque ordre de gouvernement;
  • troisièmement, le respect de la diversité et des différences.

Je crois profondément que l’esprit du fédéralisme, tel qu’il s’exprime à travers ces trois principes fondamentaux, devrait toujours guider la pratique. Ces valeurs ont encore un rôle important à jouer dans la définition des relations intergouvernementales contemporaines au Canada et elles doivent être prises en considération, lorsque nous considérons l’avenir du fédéralisme canadien.

Gardant ces valeurs à l’esprit, le gouvernement du Québec a choisi, depuis avril 2003, deux voies de développement particulièrement porteuses pour notre fédération. Il s’agit du Conseil de la fédération et de l’asymétrie.

Le Conseil de la fédération

En octobre 2003, je vous faisais part de la volonté du Québec de mettre sur pied un forum intergouvernemental permanent voué aux échanges et au dialogue, où les provinces et les territoires joueraient un rôle de leader dans la revitalisation de notre fédération. Dès le début, nous envisagions une instance qui permettrait aux deux ordres gouvernement de jouer le rôle devant leur revenir dans la définition du bien commun, tout en assurant le respect des différences. Les autres provinces et territoires ont accueilli notre proposition et ont rapidement accepté de prendre part à la création du Conseil de la fédération, en décembre 2003. Nous avons collectivement décidé que le Conseil serait composé des premiers ministres provinciaux et territoriaux et dirigé directement par eux (N. B. : correction nécessaire parce que construction syntaxique fautive : on ne peut pas dire ; composé par les premiers ministres…). Un an et demi après ma dernière visite à Kingston, je ne peux que me réjouir du chemin parcouru.

Le rôle principal du Conseil est de favoriser une coopération interprovinciale accrue à travers des échanges permanents et un dialogue constructif. Il vise à forger des liens plus étroits entre les membres et à contribuer à l’évolution de la fédération canadienne par l’adoption d’une vision concertée sur les questions qui importent à tous les Canadiens. Le Conseil permet aux provinces et territoires d’avoir une voix plus forte et une vision commune vis-à-vis du gouvernement fédéral.

Le Conseil donne une voix importante aux provinces dans la prise de décisions qui affectent l’avenir du Canada et qui concernent l’évolution de notre régime fédératif. À cet égard, le Conseil pose un défi à la vision partagée par ceux qui estiment que seul le gouvernement fédéral peut être l’architecte du projet canadien. Son objectif est de permettre aux provinces de réaffirmer leur leadership dans leurs propres champs de compétence et d’améliorer leurs rapports avec le gouvernement fédéral afin que leur point de vue soit davantage pris en considération dans les matières intéressant les deux ordres de gouvernement. Il ne s’agit pas de provoquer des affrontements stériles avec Ottawa. Au contraire, rechercher davantage l’équilibre dans nos relations intergouvernementales, c’est travailler à les améliorer et faire en sorte qu’elles suivent l’esprit qui a animé les pères de la Confédération.

Le Conseil est encore très jeune. Sa structure et sa pratique se développent graduellement. Une attention particulière doit être portée au renforcement de son secrétariat. Mais, déjà, le Conseil est très actif et orienté vers l’atteinte de résultats concrets. De fait, de nombreuses rencontres des premiers ministres ont été tenues sous son égide à un rythme sans précédent au Canada. On peut également considérer l’ambitieux plan de travail que s’est donné le Conseil et le nombre de chantiers qu’il a établis en priorité. Je pense ici, par exemple, au renforcement de l’union économique canadienne et à la diminution des barrières commerciales entre les provinces et territoires, au processus de nomination des institutions centrales, aux relations avec les États-Unis et à la participation des provinces aux négociations et aux accords internationaux qui touchent leurs compétences.

Je pense évidemment aussi au dossier du déséquilibre fiscal. Ce sujet est d’autant plus important que l’établissement de rapports plus équilibrés entre les deux ordres de gouvernement passe par la nécessité d’équilibrer, entre les gouvernements fédéral et provinciaux, les responsabilités et les revenus. En d’autres termes, il ne saurait y avoir d’équilibre politique sans équilibre fiscal.

Or, à l’heure actuelle, vous le savez tous, on constate l’existence d’un important déséquilibre fiscal vertical entre les deux ordres de gouvernement, et indiscutablement au profit d’Ottawa. Ce déséquilibre découle de la capacité du gouvernement fédéral d’engranger des surplus si considérables qu’ils lui permettent à la fois d’assumer ses responsabilités constitutionnelles, de réduire sa dette et d’envahir, avec l’argent qu’il lui reste — 9,1 milliards l’an dernier —, les compétences des provinces par le biais de son « soi-disant » pouvoir de dépenser. Les provinces ont, de leur côté, du mal à équilibrer et à boucler leur budget. L’Ontario en est l’exemple le plus récent. Le résultat est que la marge de manoeuvre des provinces, tant en en ce qui regarde l’élaboration de politiques, les dépenses que l’innovation, est considérablement réduite.

C’est dans cette optique que le Conseil de la fédération a décidé de mettre sur pied un comité spécial sur le déséquilibre fiscal. Ses membres vont parcourir le Canada au cours des prochains mois afin de consulter chacun des gouvernements provinciaux et territoriaux et de solliciter le point de vue du gouvernement fédéral, en plus d’un certain nombre de tables rondes d’experts qu’ils tiendront dans chacune des régions du Canada.

Mais les travaux du Conseil sont animés par la poursuite d’un autre objectif essentiel. L’Entente fondatrice établissant le Conseil énonce que celui-ci s’engage à promouvoir « des relations entre les gouvernements fondées sur le respect de la Constitution et la reconnaissance de la diversité dans la fédération ». Le préambule de l’Entente va dans le même sens et rappelle « l’existence de différences entre les provinces et les territoires, de sorte que les gouvernements puissent avoir des priorités et des choix différents dans leurs politiques ». Le Conseil est donc non seulement un lieu d’échanges, de concertation et d’action commune, mais également un lieu de reconnaissance mutuelle et de respect des différences. En fait, je suis convaincu que l’interprovincialisme est un véhicule de premier ordre, de nature à favoriser l’expression des différences naturelles et légitimes, qui sont le propre d’une fédération.

Le Québec n’est évidemment pas étranger à l’accent qui est ainsi mis sur la diversité. De par sa situation particulière, il a vite compris l’importance du respect de la différence. D’ailleurs, nous nous réjouissons que cet engagement pour le respect de la différence au sein du Conseil de la fédération ait déjà eu des résonances très concrètes dans le domaine de la santé, avec la signature, par les premiers ministres fédéral et provinciaux, en septembre 2004, d’une entente satisfaisante pour tous. Je tiens ici à rappeler que c’est lors de la réunion du Conseil de la fédération du mois d’août que l’idée d’asymétrie est d’abord apparue.

L’asymétrie

L’entente sur la santé a reconnu en termes exprès le principe du fédéralisme asymétrique et la possibilité pour chaque province et territoire d’y recourir par ententes bilatérales. Les premiers ministres du Québec et du Canada ont conclu pendant la même conférence, suivant ce principe, une entente bilatérale reconnaissant la spécificité du Québec et sa volonté d’exercer pleinement ses responsabilités, en conformité avec la Constitution canadienne. Par cette entente, le Québec conserve sa pleine marge de manoeuvre dans le domaine de la santé, alors que les autres provinces acceptent, pour leur part, de participer à une gestion intergouvernementale plus intégrée dans ce domaine.

Bien que l’asymétrie fût déjà présente dans l’organisation des rapports fédératifs canadiens, la signature des ententes sur la santé a eu pour effet de propulser ce concept à l’avant-scène des discussions relatives au fédéralisme et aux relations intergouvernementales. Nous considérons que l’asymétrie est un élément de progrès incontournable du fédéralisme canadien, et ce, tant pour le Québec que pour les autres provinces.

Pour comprendre pleinement la valeur de l’asymétrie pour la fédération canadienne, il convient de se rappeler du choix fait, en 1867, d’unir les provinces alors existantes en une entité fédérative. Cette union n’aurait pas été possible sans un engagement profond de toutes les parties en faveur de la protection de la diversité de chacune des entités constituantes. Les représentants du Bas-Canada n’auraient tout simplement pas adhéré à autre système de gouvernance. Le sens profond du fédéralisme, ce respect de la différence, doit nécessairement continuer à trouver écho dans sa pratique actuelle et quotidienne. Faire autrement reviendrait à nier la raison même de l’existence d’un régime qui nous a permis de rester unis depuis tant d’années.

L’entente en matière de santé n’a pas été particulièrement bien reçue par certains analystes politiques et certains Canadiens de l’extérieur du Québec. Le niveau de désapprobation a été décourageant pour nous, étant donné que les critiques ne portaient pas vraiment sur le résultat de l’entente en soi. Elles ne découlaient pas non plus du désir des autres provinces de vouloir profiter des mêmes modalités que celles accordées au Québec, puisque la possibilité de conclure une entente bilatérale avec le gouvernement fédéral était explicitement offerte à toutes les provinces. Une raison plausible d’expliquer cette réaction serait-elle que l’idée d’asymétrie elle-même dérange?

Pourtant, l’évolution nous procure maints exemples de la valeur de la diversité. À une époque où le Canada est plus ouvert que jamais sur le monde, où les échanges entre nations se multiplient, l’existence de différences n’est plus seulement une réalité à laquelle on doit être sensible; elle devient une véritable richesse collective que l’on doit chérir. La mondialisation nous fait réaliser les risques de l’homogénéisation et de l’appauvrissement susceptible d’en découler.

Il conviendrait donc que ce que l’on conçoit comme de plus en plus évident dans nos rapports individuels, communautaires ou étatiques trouve une résonance dans nos rapports fédératifs.

Nous devons développer la compréhension mutuelle et miser sur le dialogue. Celui-ci passe par la reconnaissance des bénéfices mutuels que comporte le concept d’asymétrie. L’histoire a démontré que, loin de saper l’unité nationale, l’adoption de mesures asymétriques permet aux entités fédérées de coexister harmonieusement par la réduction des tensions indues, des confrontations contre-productives, voire des demandes de sécession.

Il nous faut reconnaître qu’il existe dans notre pays différentes compréhensions de ce que nous sommes. Parmi celles-ci, on trouve celle du Canada comme seule nation, faite d’une mosaïque culturelle et proposant une conception territoriale du fédéralisme où le gouvernement fédéral doit jouer un rôle prépondérant. Une autre vision est celle du Canada comme fédération décentralisée où les deux ordres de gouvernement sont juridiquement égaux et autonomes et au sein de laquelle le Québec constitue une réalité nationale.

Force est de constater que, jusqu’à maintenant, ces deux visions se sont trouvées en opposition. Malgré les nombreuses tentatives de compromis, trop souvent, on a vu les tenants de l’une réussir à empêcher les tenants de l’autre de donner suite à leurs aspirations sans pour autant parvenir à réaliser leurs propres objectifs. Le résultat est que personne n’obtient ce qu’il veut et que le Canada vit un débat existentiel permanent. Une situation de « perdant-perdant » évidente.

L’asymétrie constitue un instrument puissant grâce auquel on peut répondre aux aspirations de l’ensemble des Canadiens, qu’ils soient du Québec ou d’autres provinces et territoires. En tenant compte de la différence par l’asymétrie, voire en la favorisant, on permet à l’ensemble du Canada d’évoluer, chaque composante allant à son rythme et suivant sa voie. Ainsi considérée, l’asymétrie paraît tout aussi attrayante pour le reste du Canada que pour le Québec. Une situation de « gagnant-gagnant » bien nécessaire.

En effet, dans la mesure où certaines provinces souhaitent avancer vers des objectifs communs, auxquels n’adhère pas nécessairement le Québec, ou vers des objectifs partagés par le Québec, mais par des moyens que celui-ci souhaite différents, l’asymétrie permet à tous de progresser.

L’asymétrie revêt un potentiel intéressant pour chaque province. Les origines de la fédération canadienne, les développements du XXe siècle et les débats contemporains montrent que l’asymétrie a principalement été associée au Québec. Même si on la rattache souvent à des questions identitaires, il n’est certainement pas exclu qu’elle puisse répondre à d’autres types de préoccupations. D’ailleurs, l’entente multilatérale sur la santé indique que l’asymétrie est un concept ouvert à toutes les provinces, dans un domaine qui n’a rien à voir avec l’identité ou la langue. Par contre, pour répondre à ceux qui craignent ce que certains pourraient être tentés d’appeler le « fédéralisme à la carte », nous devons réaliser que les aménagements asymétriques ont normalement leur raison d’être. Ils répondent à des besoins pressants et légitimes.

Le potentiel de l’asymétrie est encore plus significatif lorsque nous considérons l’importance que le Canada confère au principe de la primauté du droit. S’il va de soi que la primauté du droit est incontournable, lorsque l’on parle de démocratie et de droits de la personne, il ne saurait en être autrement, lorsque l’on aborde les arrangements qui sont au coeur même de notre vie fédérative. En contexte fédéral, la primauté du droit implique d’abord et avant tout le respect du partage des compétences prévu par la Constitution.

Des règles effectives sont nécessaires pour nous mettre à l’abri de l’arbitraire. Banaliser les règles revient à banaliser le fédéralisme. Malheureusement, force est de constater que, dans notre pays, l’importance de la règle fondamentale du fédéralisme, le partage des compétences, tend parfois à être minimisée. Nous savons qu’au Canada, particulièrement à l’extérieur du Québec, plusieurs ne se formalisent pas du fait que le gouvernement fédéral joue un rôle important en maints secteurs, y compris dans certains domaines de compétence provinciale. De tels courants favorables au pouvoir fédéral ne sauraient toutefois justifier un contournement des règles de droit. Aussi faut-il nous efforcer de concilier les volontés de l’ensemble des partenaires de la fédération avec les règles fondamentales du fédéralisme. Nous devons nous demander comment les règles actuelles peuvent légitimement tenir compte des différents points de vue qui se manifestent chez les acteurs de la fédération, eu égard au rôle de chacun.

En matière intergouvernementale, beaucoup peut être fait par voies non constitutionnelles, notamment par la conclusion d’ententes administratives, dans la mesure où celles-ci respectent les règles fondamentales figurant dans la Constitution. Cela dit, nous ne pouvons et ne devrions pas négliger les avenues présentes dans la Constitution qui demeurent non explorées, comme l’article 94 de la Loi constitutionnelle de 1867. L’existence de cette disposition paraît directement inspirée des principes d’asymétrie et de respect, et elle permet que ces mêmes principes soient déployés en conformité avec les règles actuelles.

L’article 94 est une preuve éloquente de l’existence de règles constitutionnelles prévoyant le développement d’une forme asymétrique de fédéralisme. Il permet de démontrer que des résultats asymétriques sont conformes à la vision des fondateurs du fédéralisme canadien. Il nous force à cesser de percevoir l’asymétrie comme obstacle à un fédéralisme sain, surtout lorsque celle-ci permet au Québec de faire les choses différemment.

Le potentiel de la voie administrative ne peut être ignoré. Mais, étant donné que cette voie ne bénéficie d’aucune protection juridique, elle est vulnérable et sujette aux caprices des politiciens. Dans le contexte actuel, il arrive trop souvent que le gouvernement fédéral adopte unilatéralement des mesures qui relèvent de la compétence exclusive des provinces.

Certaines provinces ne se formalisent pas de ces empiètements; certaines paraissent même accueillir favorablement – ou du moins les accepter facilement – les interventions fédérales dans des champs de compétence provinciale. Mais, pour le Québec, le respect du partage des compétences, de surcroît lorsqu’il s’agit d’une compétence aussi cruciale pour son identité que celle de la propriété et des droits civils, demeure un principe fondamental.

Or, ce qui est particulièrement intéressant avec l’article 94, c’est qu’il permet au Québec d’exercer pleinement son autonomie en matière de propriété et de droits civils, tout en offrant aux provinces de common law qui le souhaitent la possibilité de bénéficier des interventions fédérales qu’elles jugent opportunes.

Comparatisme et conclusion

L’esprit fédéral invite au respect et à la flexibilité, à la recherche de la collaboration et de l’équilibre et à l’observation des règles constitutionnelles, particulièrement le partage des compétences. Ce sont du moins les principes que le Québec défend pour la gouverne du fédéralisme du XXIe siècle. Il nous semble qu’en renouvelant constamment leur adhésion à ces principes, les Canadiens feront honneur à ce qui les a unis à l’origine.

D’ailleurs, dans un souci constant de recherche de moyens nous permettant de construire ensemble le Canada du XXIe siècle, il paraîtrait souhaitable qu’un véritable esprit d’ouverture et une écoute attentive caractérisent nos rapports, lorsque de nouvelles idées sont avancées. Si toute nouvelle piste est rejetée du revers de la main, il sera certes difficile de progresser. À cet égard, le Canada pourrait sans doute s’inspirer de l’exemple de la construction européenne et de celui de certaines fédérations qui n’hésitent pas à explorer des voies nouvelles pour tenir compte de la diversité et relever les défis de notre époque.

J’ai parlé de l’importance des règles dans la gouverne. Il est frappant de constater que les Européens n’ont pas évité de poser les nouvelles conditions de leurs relations dans des règles écrites et claires. Lors de mes récentes visites en Europe, j’ai été impressionné par le caractère audacieux du dernier exercice de réforme de l’Union européenne, qui a engendré le Projet de traité établissant une Constitution européenne. Pendant un an et demi, les représentants des institutions européennes et ceux des gouvernements et des parlements de 28 États ont échangé leurs points de vue, ainsi que débattu et négocié les clauses du traité dans la plus grande transparence et avec beaucoup d’ouverture d’esprit. Quelle belle leçon de courage politique! Tous les acteurs ont pris le risque – je préférerais dire qu’ils ont couru la chance – de s’ouvrir à la réalité et aux idées des autres. Je souhaiterais qu’au Canada aussi nous courrions cette chance de nous ouvrir à la réalité et aux idées des autres.

D’ailleurs, si l’on regarde davantage du côté de l’Europe, on découvre aussi que l’asymétrie n’est pas une idée strictement québécoise, mais au contraire une pratique internationale relativement répandue. Les exemples de la Catalogne et des communautés autonomes d’Espagne, ou encore celui de l’Écosse, au Royaume-Uni, vous sont certainement connus. Par contre, certains seront peutêtre surpris d’apprendre que, dans une fédération « accomplie » comme l’Allemagne, on discute sérieusement aujourd’hui de l’introduction d’éléments d’asymétrie dans le cadre de la réforme du fédéralisme.

Le Canada pourrait aussi gagner à s’ouvrir à ce qui se fait ailleurs au chapitre de la présence des entités fédérées dans les négociations et les forums internationaux. Je constate en effet que nombre d’États fédérés ou non souverains cherchent à accentuer leur présence internationale et que de plus en plus de pays se dotent de mécanismes permettant cette évolution. Cela est particulièrement vrai en Europe, où les cantons suisses, les régions et les communautés belges, de même que certains Länder allemands, comme la Bavière, font preuve d’un très grand dynamisme. Il semble que, devant le développement de l’Union européenne, certaines fédérations d’Europe aient pris plus rapidement que d’autres la pleine mesure du défi de la représentation des entités fédérées sur la scène internationale. La réflexion sur la participation internationale des entités infranationales s’étend également aux États non fédéraux qui sont engagés dans un processus de décentralisation, voire de fédéralisation, comme l’Espagne. Il apparaît de plus en plus clair que le Canada est aujourd’hui en retard sur ce point.

Je crois sincèrement que nous avons beaucoup à apprendre du vieux continent. Bien entendu, l’innovation politique n’est pas bénéfique en soi, mais l’intelligence des acteurs politiques est de savoir en reconnaître la valeur ajoutée, lorsqu’elle existe, et, le cas échéant, d’avoir le courage de mettre en oeuvre la nouveauté. Je ne doute pas que l’intelligence, l’ouverture aux idées nouvelles et la créativité soient présentes parmi nous. Aussi permettez-moi de souhaiter que les échanges qui auront cours dans le cadre de la conférence qui s’ouvre ce soir soient aussi fructueux et enrichissants qu’ils l’ont été pendant les 40 premières années d’existence de l’Institut et qu’il en aille de même des 40 prochaines, au plus grand bénéfice de tous!

Je vous remercie.