Agrandir le texte.Contraste élevé.Contraste inversé.
RechercheRaccourcis.
Facebook Linkedin Fils RSS.

Le 10 avril 2000 Allocution de M. Joseph Facal à l’occasion du lancement de l’ouvrage « The Canadian social union without Quebec: 8 critical analyses »

La version prononcée fait foi.

Seule la version lue fait foi

Mesdames et messieurs,

Je salue cette initiative de l'Institut de recherche en politiques publiques de publier en langue anglaise huit études réalisées par des spécialistes québécois à propos de l'entente sur l'union sociale. Assurément, cet ouvrage va contribuer à mieux faire comprendre les implications fondamentales d'un événement encore trop peu connu.

Le titre de l'ouvrage – The Canadian social union without Quebec – m'apparaît d'ailleurs extrêmement révélateur de l'évolution récente et à venir du fédéralisme canadien. Révélateur en effet parce que cette entente sur l'union sociale est une pièce majeure, centrale à mon sens, de cette redéfinition du Canada sans le Québec en cours actuellement, c'est-à-dire sans volonté de prendre en compte la spécificité québécoise. Un nouveau Canada est en train d'émerger au sein duquel on fait comme si le Québec était semblable aux autres provinces …ou comme si le Québec était déjà parti, au sein duquel la Constitution, que l'on a renoncé à modifier, est quotidiennement bafouée au nom d'un mieux-être des Canadiens unilatéralement défini par le gouvernement fédéral.

L'entente sur l'union sociale, conçue à la hâte dans les officines du Conseil privé et en rupture complète avec un consensus interprovincial sur l'encadrement du pouvoir fédéral de dépenser qui tint le coup jusqu'à ce fatidique dîner du 4 février au 24 Sussex Drive, implique en effet une centralisation encore accrue des pouvoirs au profit du gouvernement fédéral, qui compromet directement la capacité du Québec de définir lui-même ses priorités en matière de programmes sociaux. Je dirai seulement à cet égard que les analyses que l'on trouve dans cet ouvrage corroborent pour l'essentiel les motifs qui ont conduit le Québec à refuser de signer cette entente.

Qu'en est-il cependant de cette union sociale aujourd'hui, soit un peu plus d'un an après sa signature? Pendant que les ministres fédéral et provinciaux responsables de sa mise en œuvre sont toujours incapables de s'entendre sur une lettre destinée aux ministres des forums sectoriels devant préciser la portée des engagements contractés par leurs gouvernements sous l'égide de l'union sociale, autrement dit pendant que les signataires ne parviennent pas à s'entendre sur le sens à donner à ce qu'ils ont signé, le gouvernement fédéral se sert de l'entente pour déployer son agenda et ses priorités en matière sociale, ayant maintenant des moyens sans précédent pour le faire.

Un exemple : le jour même où les ministres responsables de la mise en œuvre de l'union sociale se réunissaient en décembre dernier à Ottawa pour la première fois depuis la signature de l'entente, le gouvernement fédéral annonçait à Toronto sa stratégie d'intervention pour les sans-abris (753 M$), plaçant les provinces devant le fait accompli tout en les invitant à y prendre part. Bref, Ottawa dit aux provinces : voilà ma stratégie, prière d'ajuster vos appareils, c'est-à-dire vos interventions en conséquence. L'entente sur l'union sociale parlait pourtant de définition conjointe des priorités, de prise en compte des interventions existantes des gouvernements et de préavis.

Lors de son récent budget, le gouvernement fédéral a annoncé aussi une nouvelle bonification de la prestation pour enfants. Par cette autre bonification de sa prestation, Ottawa vise délibérément à sortir à terme le Québec du champ des allocations familiales, volet majeur de notre politique familiale. Pour des motifs de visibilité, Ottawa a rejeté catégoriquement la demande québécoise de retrait avec pleine compensation financière, même si le régime québécois d'allocations familiales poursuit les mêmes objectifs d'aide aux familles à faible revenu. Ottawa agit ici délibérément, consciencieusement, méthodiquement.

Toujours dans son dernier budget, le gouvernement fédéral annonçait également la bonification des prestations pour les congés parentaux à l'intérieur de l'assurance-emploi. Or le Québec, s'appuyant sur les dispositions de la loi fédérale sur l'assurance-emploi, demande toujours la libération d'un espace de cotisations correspondant au montant global versé actuellement par les employeurs et les travailleurs québécois, de façon à pouvoir utiliser cet espace pour pouvoir mettre en place son propre régime d'assurance parentale, qui couvre aussi les travailleurs autonomes et assure un meilleur remplacement de revenu que ne le font les prestations prévues par l'assurance-emploi.

Or, en dépit des dispositions très claires de la loi actuelle de l'assurance-emploi permettant une telle libération d'espace de cotisations, le gouvernement fédéral refuse toujours de négocier avec le Québec la mise en place du régime québécois d'assurance parentale, qui fait pourtant l'objet d'un très large consensus au Québec comme on l'a vu lors du récent Sommet de la jeunesse.

Faisant délibérément la sourde oreille à la revendication québécoise, le gouvernement fédéral privilégie plutôt une logique pancanadienne d'application uniforme sur la base des paramètres du budget Martin. Autre manifestation du syndrome du Ottawa knows best. On nous disait pourtant au départ que l'union sociale devait ouvrir une nouvelle ère de collaboration entre Ottawa et les provinces.

De la même façon, le gouvernement fédéral continue de tourner le dos à la requête unanime des premiers ministres provinciaux et des leaders territoriaux quant à la nécessaire et immédiate restauration des transferts fédéraux pour le financement des programmes sociaux, en particulier de la santé, au niveau de 1994-1995, c'est-à-dire à celui qui prévalait avant les coupures substantielles décrétées par Ottawa et représentant cette année un montant de 4,2 milliards de $. Une telle restauration via le Transfert social canadien, avec un mécanisme d'indexation, permettrait aux provinces de disposer des ressources financières leur permettant de faire face à la croissance importante de leurs dépenses de santé. Le récent budget fédéral s'est plutôt contenté de retourner un montant non récurrent de 2,5 milliards de $, radicalement insuffisant puisqu'il équivaut à moins de 10 % du manque à gagner cumulatif des provinces depuis les coupures de 1994-1995.

Or non seulement Ottawa refuse-t-il de restaurer le Transfert social canadien, mais voilà qu'il veut maintenant imposer une réforme du système public de soins de santé. Par cette réforme, il entend remettre en question les transferts inconditionnels aux provinces qui offrent pourtant une flexibilité qui répond bien à la diversité des modes d'organisation des services de santé au Canada. Ottawa préfère leur substituer des transferts spécifiques auxquels seront rattachées des conditions précises d'utilisation imposées aux provinces.

Ottawa veut en fait imposer ses priorités aux provinces en matière de santé en utilisant son pouvoir de dépenser. Ottawa veut implanter un régime pancanadien d'assurance-médicaments. Ottawa veut se mêler d'infrastructures, de technologies, d'organisation des soins primaires, de soins à domicile, de répartition régionale des médecins, de répartition du personnel infirmer, voire de leur formation.

Bref, un assaut d'une ampleur sans précédent de la part du gouvernement fédéral sur les responsabilités constitutionnelles des provinces en matière de santé.

Pour ainsi ramener les provinces au simple rang d'exécutants, le gouvernement fédéral a le culot de s'investir de la légitimité d'agir comme grand architecte des programmes sociaux qu'il aurait obtenu, dit-il, des autres provinces par l'entente sur l'union sociale. Dans les faits, Ottawa pervertit sciemment, à son avantage exclusif, une entente sur l'union sociale déjà presque à sens unique, de même que l'esprit du consensus interprovincial sur la définition conjointe des priorités qui incluait à l'origine un véritable droit de retrait. Mais faut-il vraiment s'en étonner? Puisqu'avec l'entente sur l'union sociale, Ottawa a finalement obtenu ce qu'il recherchait depuis 1945 : la légitimation politique par les provinces de son rôle dans le domaine social et le pouvoir qui en découle de lancer de nouveaux programmes dans les champs de compétence des provinces.

Face à cet assaut fédéral, les provinces résistent pour l'instant et insistent pour obtenir la restauration immédiate des transferts fédéraux, qui ne représentent plus aujourd'hui que 13 sous pour chaque dollar dépensé actuellement par celles-ci en santé. Combien de temps le front commun des provinces tiendra-t-il le coup? Je l'ignore. Après l'épisode des négociations sur l'union sociale, le Québec demeure pour le moins réservé en ce qui a trait à la solidité des fronts communs des provinces. Je n'ai pas non plus à rappeler longuement les dures leçons de l'histoire à cet égard, comme celles du rapatriement de 1982, surtout dans un contexte où le Canada a fait le choix de se redéfinir sans égard au Québec.

Je conclus ce bref retour sur l'année écoulée en soutenant donc que le comportement fédéral depuis la signature de l'entente sur l'union sociale justifie encore davantage, avec le recul, la décision du gouvernement du Québec, dans une perspective de continuité historique et dans une volonté inébranlable de demeurer le maître d'œuvre de ses politiques sociales, de refuser de signer celle-ci. Les dossiers de la prestation pour enfants, de l'assurance parentale, de la stratégie pour les sans-abris et du projet fédéral de réforme de la santé sont autant de manifestations d'intrusions fédérales auxquelles l'entente sur l'union sociale sert de caution, de paravent, de Cheval de Troie. Ces intrusions fédérales hypothèquent de plus en plus sérieusement la capacité du Québec de définir, d'élaborer et de mettre en œuvre ses propres priorités en matière sociale.

J'y vois pour ma part l'illustration de l'émergence rapide d'un Canada de moins en moins fédéral, de plus en plus unitaire, de moins en moins disposé à accommoder un tant soit peu la spécificité québécoise et où la dualité fondatrice du siècle dernier n'est plus qu'un lointain souvenir. Un jour, l'on verra bien avec le recul que cette entente sur l'union sociale n'aura pas été sans conséquence sur le choix démocratique fondamental qu'aura à faire tôt ou tard le peuple québécois quant à son avenir politique. Je vous remercie.