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Gatineau, le 28 juin 2005 Allocution du ministre responsable à l'occasion du 19e Congrès du Conseil international d'études francophones

La version prononcée fait foi.

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi, en premier lieu, de remercier le recteur de l’Université du Québec en Outaouais, M. Jean Vaillancourt, de m’avoir invité à vous adresser la parole aujourd’hui, dans le cadre de ce 19e congrès du Conseil international d’études francophones (CIÉF). Je suis honoré d’avoir ainsi l’occasion de livrer quelques réflexions sur l’avenir du français et de la francophonie devant un auditoire tel que le vôtre, composé d’écrivains et d’écrivaines, de professeurs et de chercheurs universitaires, d’artistes, d’éditeurs et d’éditrices, francophones et francophiles en provenance de tous les continents. Ayant tenu, au fil des ans, ses congrès un peu partout dans le monde, aux États-Unis, en France, en Belgique, dans les Caraïbes et dans plusieurs pays africains, ainsi qu’au Québec au moins à deux reprises, le Conseil international d’études francophones témoigne ainsi de manière éloquente que la francophonie a pris racine et continue de s’épanouir dans tous les coins de la planète, qu’elle est vivante et marquée au sceau du pluralisme et de la diversité. Un tel constat ne peut que nous réjouir. Il nous rappelle que notre langue jouit d’un statut privilégié dans le monde, sans nous faire oublier, cependant, que des efforts importants devront être consentis dans l’avenir immédiat pour que soit maintenue et renforcée cette position des plus enviables, dont peu de grandes langues de communication peuvent se vanter à l’heure actuelle.

À vous que la situation du français interpelle tout particulièrement et sachant que le sujet résume en quelque sorte nos préoccupations à tous et à toutes, je suis tenté, d’entrée de jeu, de vous dire quelques mots des progrès que nous avons accomplis, en une cinquantaine d’années, au Québec même, en ce qui a trait à la primauté du français.

Jusqu’au début des années 60, les mots assimilation, résistance, rapports de domination, infériorité et insécurité dépeignaient assez justement la représentation mentale qui était celle d’une bonne majorité de Québécois francophones relativement à leur langue. L’anglais jouissait alors d’une nette prééminence dans l’affichage commercial et dans le milieu des affaires, particulièrement à Montréal, et les enfants des immigrants fréquentaient massivement l’école anglaise, l’usage de cette langue étant alors considéré comme l’élément incontournable de la réussite matérielle et sociale. Cette situation a longtemps nourri un vif sentiment d’aliénation chez les francophones, sentiment qui s’est peu à peu mué en une réelle prise de conscience du statut d’infériorité auquel était confiné le français dans l’espace public québécois. C’est ainsi que, dans les années 60 et 70, l’idée d’utiliser l’État québécois comme instrument mis au service du français s’est imposée avec une grande force, faisant lentement basculer les rapports de pouvoir en faveur de la langue de la majorité. Quatre décennies de débats passionnés et intenses et d’au moins deux lois linguistiques majeures ont finalement mené à la reconnaissance du caractère légitime du projet d’aménagement linguistique québécois, qui visait à faire du français la langue officielle, la langue du commerce et des affaires, ainsi que la langue de travail et de communication dans les entreprises aussi bien que dans l’administration publique. Aujourd’hui, parler français, vivre et travailler en français au Québec est synonyme d’ouverture aux autres et sur le monde, d’affirmation, d’épanouissement, d’autonomie et d’inclusion sociale. Voilà le constat le plus évident, le changement le plus significatif touchant la situation linguistique du Québec, d’autant que ce statut – fortement consolidé – de la langue de la majorité ne saurait désormais être remis en cause, puisqu’il est un facteur de cohésion sociale important.

Ces avancées sont majeures, car nous savons tous que la langue est bien plus qu’un simple outil de communication et d’échanges. Elle est l’instrument par lequel s’expriment l’âme, l’héritage, les valeurs et le dynamisme d’une collectivité. Puissant facteur d’identité, la langue réside au coeur même de toute nation qui se construit. C’est pourquoi le Québec a, tout au long de son histoire, livré bataille en faveur du français. Si les Québécois sont devenus ce qu’ils sont aujourd’hui, en dépit de tant de revers et de difficultés, si leur personnalité collective est mieux définie et davantage affirmée qu’autrefois, c’est parce que le français a fini par s’imposer dans l’espace public. Aujourd’hui, nous exportons notre culture partout dans le monde et nous invitons tous les immigrants à construire avec nous l’avenir dans le partage de cette langue devenue commune.

Par ailleurs, une langue s’épanouit dans l’expression artistique et culturelle, dont elle constitue le véhicule privilégié. Le Québec actuel est une société jeune dont l’identité s’est forgée à partir des différents métissages culturels qui l’ont modelée. Terre d’immigration, il s’est nourri successivement à même la richesse du substrat amérindien et des importantes influences culturelles qui lui sont venues de France, des îles Britanniques et, par la suite, d’ailleurs dans le monde. Aujourd’hui, la culture québécoise connaît une vitalité peu commune, marquée par l’explosion de nombreuses manifestations artistiques qui voyagent sur les cinq continents. Le succès que les créateurs québécois connaissent est en partie le résultat de l’appui que le gouvernement du Québec leur accorde, ainsi qu’aux entreprises et organismes culturels. Ce soutien apporté à la culture fait écho aux actions que nous avons prises pour assurer la primauté du français dans la sphère publique, ainsi qu’aux efforts que nous déployons, avec le Canada et les autres pays francophones, pour assurer son rayonnement à l’échelle internationale.

Faire déborder notre action en faveur du français au-delà des frontières est devenu absolument nécessaire aujourd’hui pour assurer la vitalité de notre langue chez nous. En effet, il est certain que les défis que nous allons devoir relever en tant que francophones, où que nous vivions sur la planète, ne ressembleront en rien à ce que nous avons connu jusqu’à maintenant. L’avenir ne pourra donc être assuré en reconduisant le passé, sans plus, car le paysage est aujourd’hui radicalement transformé.

On n’a qu’à penser à la mondialisation, responsable de la transformation profonde du rôle des États-nations et de la quasi-disparition des frontières économiques entre pays. Tout en présentant une occasion extraordinaire d’ouverture sur le monde, ce phénomène, dont nous sentons déjà les effets, risque d’accélérer le nivellement des particularismes culturels et de renforcer la position déjà largement hégémonique de l’anglais sur la planète.

Pensons également à la société de l’information, de plus en plus omniprésente dans nos univers et qui, faisant corps avec la mondialisation, exerce désormais une influence déterminante sur les stratégies de développement de tous les pays du monde. L’information est devenue une matière première qui génère du savoir et produit de la richesse. La langue étant son support, il est de plus en plus évident que le développement de la compétence linguistique va prendre une importance encore plus grande que par le passé. La place que parviendra à occuper le français dans ce nouvel environnement fortement concurrentiel sera fonction de sa capacité à nommer les nouvelles réalités afin d’exprimer la modernité, mais également, dans une très large mesure, de sa capacité à traiter et exploiter l’information, et à la rendre accessible à l’ensemble des locuteurs francophones de la planète, au moment même où ils en auront besoin. Dans cette société de l’information dans laquelle nous sommes déjà, productivité économique et productivité linguistique sont désormais liées l’une à l’autre.

Ainsi donc, ce nouvel ordre mondial fait en sorte que l’avenir du français au Québec et dans les Amériques est désormais lié étroitement à son rayonnement dans le monde. C’est bel et bien à l’échelle planétaire, en effet, que se jouera le sort futur des quelques grandes langues universelles qui, tout en ayant chacune leur sphère d’influence, sont également en concurrence les unes avec les autres, face à l’anglais, devenu la langue de communication internationale. Sur ce terrain de la concurrence mondiale, toutefois, le français jouit d’une position de premier plan. Parlé par 200 millions de personnes sur tous les continents, il se classe au deuxième rang mondial pour le nombre de pays où il a le statut de langue officielle. Il est également perçu, encore aujourd’hui, comme un facteur de réussite et de promotion sur le plan personnel et comme une excellente passerelle de communication sur le plan international, et cela, par un très grand nombre de locuteurs francophones et francophiles disséminés un peu partout sur la planète. Notre premier devoir et notre plus grand défi seront de faire en sorte qu’il puisse maintenir cette position, laquelle lui confère un avantage déterminant et nourrit son prestige dans le monde.

C’est précisément dans cette optique, mais aussi avec l’intention de faire contrepoids à l’homogénéisation des cultures, que le Québec et le Canada, avec la France, ont bataillé ferme sur la scène internationale pour défendre le droit absolu des gouvernements à soutenir activement le développement culturel de leurs sociétés. À cet égard, ils ont appuyé le projet de Convention sur la diversité des expressions culturelles, qui vient d’être adopté à l’UNESCO par une très forte majorité de pays. Cette convention internationale consacre le droit des États et des gouvernements à maintenir, développer et mettre en oeuvre des politiques de soutien de la culture et de la diversité culturelle. Elle définit également un droit applicable en cette matière, tout en faisant état d’une volonté d’ouverture aux autres cultures.

C’est là une victoire très importante pour les quelques pays qui sont à l’origine de ce projet d’accord, car le principe même de la diversité culturelle doit être reconnu et légitimé, si l’on veut préserver la capacité d’action de nos gouvernements en matière culturelle, cette capacité étant menacée par les accords commerciaux et le processus de libéralisation des échanges. Devant vous tous et toutes réunis ici aujourd’hui pour célébrer la francophonie et sachant que le Conseil international d’études francophones est l’association la plus importante consacrée aux études francophones de par le monde, ainsi que l’une des plus prestigieuses, association qui, du reste, a vu le jour ici même en Amérique du Nord, j’aimerais terminer sur une note d’espoir.

Personnellement, j’ai l’intime conviction que la francophonie a un avenir. Si nous savons nous organiser et nous redéployer de manière à faire tomber les barrières qui nous ont longtemps divisés et éloignés les uns des autres, si nous arrivons à mettre nos ressources en commun et à parler ensemble, d’une seule et même voix, en faveur du français, pour sa vitalité et son rayonnement dans le monde, si nous faisons preuve de confiance et de créativité, si nous cultivons l’amour de cette langue en cherchant à exploiter son génie propre et en la parlant et l’écrivant le mieux possible, partout et en toutes circonstances, nous pourrons accomplir de grandes choses. La première condition de la réussite, c’est de vouloir, ne l’oublions jamais. Alors, faisons preuve de détermination pour assurer un avenir à cette langue que nous partageons et qui est notre bien le plus précieux.

Je vous remercie et vous souhaite un fructueux congrès.