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Le 19 mai 2000 Pourquoi la souveraineté du Québec sera chose faite bien avant 2020

La version prononcée fait foi.

Allocution de M. Joseph Facal

Seul le texte prononcé fait foi


Monsieur Jedwab,
Monsieur Dion,
Mesdames et messieurs,

On me permettra, d'entrée de jeu, de féliciter les responsables de l'Association d'études canadiennes pour l'idée de souligner le 20e anniversaire du référendum québécois de 1980 et de les remercier de m'avoir invité. Je ne vous étonnerai pas en vous disant d'abord souhaiter que la question nationale soit chose réglée en l'an 2020, car l'idée de passer les prochaines décennies enfermé dans les mêmes débats de société est une perspective peu engageante.

Pour savoir où l'on sera un jour, il faut cependant d'abord comprendre d'où on vient. À cet égard, le 20 mai 1980 restera une date importante dans l'histoire politique du Québec et du Canada. Cet événement allait en effet cristalliser une démarche dont la légitimité comme élément déclencheur d'un processus d'accession à la souveraineté pour le Québec serait, quelque dix-huit ans plus tard, confirmée par la Cour suprême du Canada.

Dans la dynamique des relations Québec/Ottawa, le référendum de 1980 venait également marquer toute la distance qui séparerait désormais ces deux pôles politiques au chapitre de leur conception respective de la démocratie participative. Au Canada, au moment de la création de l'union fédérale en 1867, ni la population du Québec, ni celle des autres provinces fondatrices n'avaient été préalablement consultées. En1982, au moment de la réforme constitutionnelle la plus importante de l'histoire canadienne, qui allait en outre s'opérer sans l'accord du Québec, la population fut à nouveau complètement écartée du processus. Les récentes délibérations au sein du Parlement canadien autour du projet de loi C-20 ont encore une fois laissé délibérément la population à l'écart, comme si quelqu'un, quelque part, redoutait l'expression démocratique des Canadiens en général et du peuple québécois en particulier.

Au Québec par contre, en 1980, au moment d'enclencher la démarche vers l'accession à la souveraineté, il fut décidé de confier au peuple québécois la décision ultime à ce chapitre. Le peuple québécois fut ainsi placé au cœur même du processus référendaire. Il en fut également de même en 1995, et encore au printemps 2000 alors que, pour les délibérations entourant le projet de loi no 99, une consultation générale et des audiences publiques ont été tenues.

Pour les observateurs de l'époque, le référendum de 1980 sur la souveraineté-association a été un exercice démocratique des plus valables. Malheureusement, le révisionnisme historique fédéral est en marche. La machine tourne à plein régime. L'utilisation de BCE Média par le Bureau d'information du Canada pour financer en douce, pour plus d'un million de dollars, de soi-disant émissions d'information publique à la télévision nationale est venu illustrer cette situation à point nommé.

Il est en effet éminemment regrettable que des forces révisionnistes soient aujourd'hui à pied d'œuvre à Ottawa pour tenter de diminuer la valeur du référendum de 1980 dans le but de discréditer le mouvement souverainiste et de légitimer certains des aspects les plus répréhensibles du projet de loi C-20.

Les révisionnistes tentent de nous faire croire que le référendum de 1980 n'était, en fait, qu'un marché de dupes. Que la question était à ce point farcie d'ambiguïtés que les 40,44 % des électeurs qui ont voté OUI l'ont fait dans un moment d'égarement. Pourtant, l'idée de la souveraineté n'était-elle pas présente dans le paysage politique du Québec depuis déjà vingt ans? Le général De Gaulle n'avait-il pas lancé son célèbre « Vive le Québec libre » en 1967? Monsieur René Lévesque n'avait-il pas, la même année, fondé le Mouvement Souveraineté-Association?

Les révisionnistes fédéraux cherchent à accréditer les pires préjugés sur la capacité des Québécoises et Québécois, comme peuple, à se gouverner démocratiquement. Je soutiens pour ma part que les Québécois sont pleinement capables d'évaluer, individuellement et en conscience, les options qui leur sont présentées. Prétendre le contraire, c'est faire insulte à l'intelligence des Québécois.

Quant à l'offre d'association faite dans la question référendaire de 1980, ce n'était ni un stratagème ni une attrape. Depuis que M. René Lévesque a fondé le Mouvement souveraineté-association, cet aspect a toujours fait partie du projet souverainiste québécois. Bien au contraire, c'est la partie fédérale qui a affirmé qu'elle ne négocierait pas. Les souverainistes, eux, ont toujours fait de la négociation un élément central de leur projet. L'honnêteté intellectuelle obligeait donc le gouvernement à consulter la population sur le projet qui était le sien, celui qu'il avait fait valoir auprès des électeurs. Pas sur un quelconque projet de sécession univoque flottant uniquement dans l'imaginaire des révisionnistes fédéraux.

S'il faut chercher de l'ambiguïté dans le référendum de 1980, l'on pourrait peut-être regarder du côté des promesses faites par la partie fédérale en cours de campagne. En particulier, la fameuse promesse faite main sur le cœur, tête sur le billot et siège en jeu par le premier ministre du Canada, Monsieur Pierre Elliot Trudeau, à quelques jours de l'échéance référendaire, par laquelle il s'engageait à prendre (et je cite) « des mesures immédiates pour renouveler la Constitution » (fin de la citation) (discours au centre Paul-Sauvé, 14 mai1980) .

La souveraineté-association n'obtint finalement que 40,44 % des voix, les électeurs ayant préféré donner une autre chance au renouvellement du fédéralisme. Des espoirs qui, pour plusieurs, allaient être amèrement déçus. Je ne m'étends pas sur la suite bien connue des événements.

Le Plan B en vigueur depuis 1995 a quant à lui valu au Québec un nouveau ministre fédéral presque exclusivement voué à son application, la création, en pleine période de coupures dans les transferts destinés aux écoles et aux hôpitaux, du très utile Bureau d'information du Canada (BIC) et son budget de plus de 20 millions de dollars, auquel il faut ajouter l'accroissement des budgets du Conseil pour l'unité canadienne et du Bureau du Conseil privé, le programme des drapeaux de Patrimoine Canada, l'entêtement du gouvernement fédéral dans le dossier des Bourses du millénaire, dans l'actuel dossier des jeunes contrevenants, l'isolement du Québec lors des négociations sur l'union sociale au cours desquelles le Québec défendait les positions véhiculées jadis par les Lesage, Johnson père et Bourassa, de multiples intrusions dans les champs de compétence des provinces, et j'en passe.

Le Plan B a également valu au Québec un renvoi devant la Cour suprême du Canada dans lequel le procureur du gouvernement fédéral est allé jusqu'à nier l'existence même du peuple québécois. Ce renvoi fut lui-même suivi du projet de loi C-20 qui prétend donner suite à l'exigence de clarté formulée par la Cour suprême dans son avis consultatif, alors que, dans les faits, ce projet de loi vient plutôt en triturer les principales conclusions.

La réalité, elle est là : le Canada de l'an 2000 a décidé de fonctionner sans le Québec. L'adhésion du Québec à l'Entente canadienne sur l'union sociale ou à la Loi constitutionnelle de 1982 n'est plus une priorité ni pour le gouvernement fédéral, ni pour le reste du Canada. Pour eux, le Québec doit se satisfaire de la situation actuelle et rentrer sagement dans le rang. On admettra que pour les fédéralistes québécois, il y a là un lourd constat difficile à accepter. Comment expliquer autrement les tergiversations du Parti libéral du Québec à formuler sa nouvelle position constitutionnelle, si ce n'est le mur de l'indifférence auquel les fédéralistes québécois sont confrontés pour l'an 2000 et les décennies à venir, eux à qui M. Chrétien a fait savoir que la Constitution n'était pas « un magasin général » et qu'il fallait passer à autre chose?

Pour les fédéralistes québécois, qui croient dans un Québec fort et autonome au sein d'un Canada respectueux du principe fédéral, je prévois un avenir morose d'ici l'an 2020. À l'horizon, il n'y a même plus le statu quo, seulement l'accélération de la centralisation en cours. Et cela, ils le savent très bien. Le magasin général est fermé. Le train canadien est en marche : au Québec de décider s'il y accroche son wagon; mais s'il le fait, il est clairement entendu que son wagon ne devra pas être différent des neuf autres. La locomotive fédérale carbure à plein régime, alimentée par la condescendance à l'endroit des provinces et par l'utilisation unilatérale et tous azimuts de mirobolants sur plus budgétaires. Destination : fédéralisme unitaire, avec son lot d'empiétements, de chevauchements, d'affrontements et de conflits.

Pour les souverainistes, les prochaines années seront importantes. La restructuration budgétaire ayant porté fruit, le peuple québécois sera encore plus libre de ses choix qu'il ne l'a jamais été. Face à un fédéralisme canadien qui refuse de faire une place particulière au Québec, la souveraineté gagnera de nouveaux appuis tant chez les jeunes, anxieux de délaisser les anciennes querelles et de relever le défi emballant du changement, que chez les fédéralistes fatigués des luttes incessantes, mais pour qui la résignation n'est pas une option viable.

Le Québec pourra aussi compter pour accéder à la souveraineté sur des moyens qu'il n'avait pas à sa disposition en 1980 et 1995. Deux de ceux-ci lui ont même été donnés par un effet boomerang du renvoi fédéral devant la Cour suprême.

Le premier, c'est l'obligation de négocier que l'avis consultatif est venu imposer au gouvernement fédéral. Plus question pour le gouvernement fédéral de se défiler. Plus question pour le gouvernement fédéral de faire comme il a fait en1980 et en 1995 et d'affirmer tout de go qu'il ne négocierait pas.

Je crois qu'on ne réalise pas à quel point cet aspect de l'avis de la Cour suprême est venu radicalement changer le paysage. Non seulement la Cour suprême reconnaît-elle la légitimité du mouvement souverainiste québécois, mais elle astreint en outre tous les participants de la fédération canadienne à prendre acte de la volonté démocratique du peuple québécois et à la respecter.

Un autre moyen que le Québec ne possédait pas en 1980 et en 1995, mais que la Cour suprême lui a donné en 1998, c'est l'exigence de bonne conduite pendant les négociations sur l'accession à la souveraineté. La Cour suprême a clairement indiqué que le non respect de cette exigence par la partie canadienne donnerait ouverture légitime au Québec de procéder à une accession de facto à la souveraineté. Vous voyez, encore une fois, combien on se situe à des années lumière du discours que la partie fédérale nous a toujours servi sur cette question.

Comment en effet le contenu du projet de loi C-20 résistera-t-il à une exigence de bonne foi? Autrement dit, si la communauté internationale avait à juger de la bonne foi des parties dans leur comportement, que penserait-elle d'un projet de loi qui autorise une chambre législative composée à 75 % de députés provenant de l'extérieur du Québec à juger de la clarté d'une question référendaire qui concerne au premier chef des Québécois appelés à exercer librement et sans ingérence extérieure, selon tous les textes internationaux applicables, leur droit fondamental à décider de leur avenir politique?

Que penserait-elle d'un projet de loi qui autorise cette même chambre législative composée à 75 % de députés provenant de l'extérieur du Québec à juger de la clarté d'une question référendaire en prenant en considération l'avis de sénateurs fédéraux non élus, des neuf autres provinces, des trois territoires, des peuples autochtones et de tutti quanti?

Que penserait-elle d'un projet de loi qui autorise cette même chambre législative à exclure ex cathedra du domaine de la clarté toute question référendaire à deux volets portant sur la souveraineté et le partenariat comme le faisaient, chacune à leur manière, les questions de 1980 et 1995?

Enfin, que penserait la communauté internationale d'un projet de loi qui autorise une chambre législative composée à 75 % de députés provenant de l'extérieur du Québec à se réserver le droit de décider ex cathedra et après la tenue du référendum, du seuil de majorité requis pour que le Québec puisse accéder à la souveraineté ?

Amenée à évaluer ces quatre aspects, la communauté internationale jugerait-elle qu'il s'agit là d'un comportement de bonne foi? Et vous, si je vous posais la question, jugeriez-vous qu'il s'agit là d'un comportement de bonne foi? Au lendemain d'un OUI référendaire, C-20 sera emporté par les impératifs de la realpolitik.

En conclusion, je vous dirai qu'il n'y a aucun doute dans mon esprit que d'ici l'an 2020, et même bien avant ça, le peuple québécois aura délaissé les chemins qui l'ont mené trop souvent à des affrontements stériles. Il aura choisi la voie d'une souveraineté moderne, ouverte sur le monde et sur les réalités qui caractériseront ce début du 21e siècle.

JE VOUS REMERCIE.