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Le 3 novembre 2006 La position constitutionnelle du gouvernement libéral et le concept de nation québécoise

La version prononcée fait foi.

Monsieur le Président,

J’aimerais aborder tout spécialement la question de la reconnaissance de la nation québécoise. Ce que sont les Québécois et les Québécoises et ce que nous voulons devenir en tant que communauté, n’est-ce pas là le coeur de la question qui nous anime. Cette question concerne notre identité profonde.

Au Québec, l’existence de la nation fait l’objet d’un large consensus qui s’est formé autour de certaines traditions, de certains compromis et de moments forts qui nous ont fait prendre conscience de notre appartenance à une même communauté, malgré nos différences et nos différends.

Depuis de nombreuses années, l’affirmation du Québec en tant que nation transcende les partis, les époques et les débats. Ainsi, en 2003, c’est d’une même voix et unanimement que nous réitérions à l’Assemblée nationale le fait que le peuple québécois forme une nation.

Comme la très grande majorité des Québécois et des Québécoises, cette nation du XXIe siècle, je la conçois moderne, inclusive et rassembleuse. Autrefois construite autour d’une idéologie de survivance s’appuyant sur la langue, nos origines françaises et la religion catholique, la nation québécoise croît dorénavant au rythme de la mondialisation et de l’ouverture sur le monde. Elle accueille des gens de partout et leur lance une invitation franche et sincère à participer à l’aventure quotidienne du développement du Québec.

En raison de son destin particulier sur le continent américain, la nation québécoise est devenue un véritable foyer d’accueil et d’intégration au sein du Canada. Étant issus d’une culture minoritaire en Amérique du Nord, les Québécois et les Québécoises sont davantage conscients de l’importance des identités collectives. Ils sont respectueux de celles-ci et soucieux de permettre l’épanouissement d’autres minorités.

L’idée voulant que la nation québécoise soit un concept rétrograde, datant d’un autre siècle, ne saurait être plus fausse. Ce n’est pas l’idée de nation qui est rétrograde, c’est l’idée voulant qu’elle soit nécessairement souveraine1. Notre nation, comme le rappelait candidement Bernard Landry la semaine dernière, s’est particulièrement épanouie depuis la Révolution tranquille et nous disposons aujourd’hui de moyens institutionnels exceptionnels pour nous développer et envisager l’avenir avec confiance. Je ne peux que constater que l’Histoire a réservé un sort moins enviable à de nombreuses autres nations sur tous les continents.

La reconnaissance de la nation québécoise

Il est bien pour une société de s’affirmer et d’évoluer en tant que nation, mais il est encore mieux pour elle d’être respectée et reconnue en tant que telle. D’ailleurs, cette question ne pose aucun problème à la plupart de nos interlocuteurs, qu’ils soient du palier fédéral ou des autres provinces. Toutefois, la dynamique canadienne semble toujours interdire à quelques-uns d’en tirer des conséquences institutionnelles. Certains ont une profonde méconnaissance du Québec, d’autres y voient probablement le spectre des déchirements passés et la répétition d’un débat constitutionnel qu’ils voudraient oublier.

Plutôt qu’une occasion de déchirements, la reconnaissance de la nation québécoise par l’ensemble de la société canadienne constituerait, à mes yeux, une source d’apaisement dans ce débat et contribuerait sans aucun doute à faire du Canada un pays plus uni et plus fort. Le respect de l’appartenance nationale de l’un ne met pas en péril l’existence de l’autre. La reconnaissance de notre nation serait un message très fort pour les Québécois et les Québécoises, soit qu’ils peuvent être eux-mêmes à l’intérieur du Canada. C’est plutôt en leur refusant cette reconnaissance qu’ils se sentent davantage cantonnés dans une solitude qui n’a plus sa raison d’être.

À ceux qui, dans le reste du Canada, craignent la reprise du débat constitutionnel portant sur la spécificité du Québec, je tiens à dire que celui-ci est inévitable. Toutefois, j’estime que nous ne sommes pas pour autant condamnés à répéter sans cesse les mêmes scénarios. Pour une approche pragmatique de la question et dans le respect des principes énoncés plus haut, il importe davantage de se pencher sur les conséquences juridiques de la reconnaissance de la spécificité québécoise que sur la nature des termes employés.

Certes, le débat d’aujourd’hui qui porte sur le concept de nation est le même que nous pouvions tenir hier autour de la notion de peuple et avant-hier autour de celle de société distincte ou de société unique. Mais je ne crois pas qu’un document aussi important que la Constitution canadienne doive être modifié sans un débat serein, empreint d’une réflexion dépassant les nécessités médiatiques quotidiennes.

D’un côté comme de l’autre, certains sont sceptiques quant aux résultats d’une telle entreprise. Aux uns, je dis que la reconnaissance de la nation québécoise par l’ensemble du Canada est compatible avec la poursuite du projet commun canadien. Aux autres, je répète que l’appartenance de la nation québécoise à l’ensemble canadien n’est pas un frein à son développement. De manière paradoxale, les uns et les autres fondent leur position sur la même idée : celle de la congruence entre nation et État. Ils se rejoignent dans la croyance selon laquelle toute nation appelle un État. Cela pousse les premiers à refuser la reconnaissance de la nation québécoise, les seconds à revendiquer l’indépendance du Québec et tous à s’affronter dans un dialogue de sourds.

D’autres démocraties, ailleurs dans le monde, comme celles de l’Espagne et du Royaume-Uni, nous montrent qu’il est possible de conjuguer État et nations au pluriel. On y a trouvé des formules imaginatives pour refléter dans le système institutionnel la complexité des communautés nationales constitutives et leur donner les moyens de gérer elles-mêmes les domaines où s’expriment leurs différences.

Ces exemples montrent qu’il est possible de reconnaître, en termes de droits, les conséquences de l’existence de réalités nationales différentes au sein d’un seul et même État sans amener celui-ci à la décomposition, et ce, à la satisfaction des peuples concernés. La reconnaissance de la différence se cristallise généralement sous la forme d’arrangements asymétriques.

Le Québec et le Canada peuvent tirer des enseignements de ces expériences étrangères pour trouver une réponse originale et adaptée à leur réalité. Ces exemples démontrent aussi que, loin d’appartenir au passé, la quête de reconnaissance de la nation québécoise au sein du Canada est plus que jamais d’actualité. Sa légitimité et sa faisabilité sont confirmées par les développements que l’on observe dans d’autres fédérations ou quasi-fédérations. En respectant et en reconnaissant les différences sociologiques et politiques, au lieu de les nier, et en les transcrivant en termes de droits spéciaux dans leur système politique, ces démocraties ont évité des conflits sociétaux inutiles et contre-productifs.

Soyons inventifs dans notre recherche de reconnaissance. Arrêtons de nier le caractère complexe de notre société et de nos identités nationales et cessons de placer celles-ci dans des catégories artificielles. La réalité des pays qui tentent l’expérience plurinationale est tout aussi complexe que celle du Québec et du Canada. La complexité ne doit pas nous inciter à fuir le débat, bien au contraire. L’objectif du gouvernement du Québec est de rechercher des façons pragmatiques d’ancrer solidement la spécificité du Québec dans les caractéristiques de notre système fédéral et de faire valoir notre différence dans une relation de confiance mutuelle.

Notre vision est celle d’une nation québécoise confiante qu’elle peut garantir son avenir au sein du Canada. C’est aussi celle d’un Canada confiant dans sa capacité de se libérer du carcan de l’État-nation et de développer un mode de gouvernance qui soit davantage respectueux de sa diversité intrinsèque et qui reconnaisse le droit à la différence en son sein, cette différence fût-elle de caractère national.

La reconnaissance de la spécificité du Québec n’est pas un caprice, elle est même nécessaire. Car la Constitution d’un pays est un miroir et il est impérieux que, dans ce miroir, dans la Constitution, les Québécois se reconnaissent pleinement.

1 Formulation inspirée de Pierre Trudeau, « La nouvelle trahison des clercs », Cité libre, vol. XIII, no.46, avril 1962.