La version prononcée fait foi.
Monsieur le gouverneur,
Messieurs les représentants des chefs de gouvernement des États membres des Régions partenaires,
Mesdames et Messieurs,
Avant de vous présenter les défis auxquels le Québec fait face au sein de la fédération canadienne, permettez-moi d’exposer en quelques mots ce que représente le fédéralisme d’un point de vue canadien. Le fédéralisme est un système politique dans lequel la souveraineté de l’État est partagée entre deux ordres de gouvernement. Le partage de cette souveraineté étatique se traduit par une répartition des compétences législatives prescrite par une Constitution formelle faisant autorité. En conséquence, nous pouvons dire que les institutions fédérales ou centrales sont souveraines ou autonomes dans leurs domaines de compétence et que les entités décentralisées ou fédérées sont aussi souveraines ou autonomes dans leurs propres domaines de compétence. Toute subordination juridique, politique ou économique des entités fédérées aux institutions centrales doit être considérée comme indésirable au regard du principe fédéral et de l’esprit fédératif. C’est pourquoi les éléments de subordination d’un ordre de gouvernement sur un autre doivent être limités par nature et, lorsqu’ils sont inévitables, ils doivent être acceptés par tous les partenaires fédératifs intéressés.
Au Canada, les municipalités ne sont pas considérées comme autonomes, même si elles constituent elles-mêmes un ordre de gouvernement. Leurs compétences leur sont déléguées par les législatures provinciales et sont soumises à la volonté de ces dernières.
Ceci étant dit, je souhaite maintenant aborder le sujet qui occupe aujourd’hui cet atelier sur le fédéralisme dans les Amériques. Vous reconnaîtrez sans doute, transposés dans la réalité propre au Canada et au Québec, quelques-uns des enjeux qui animent les débats sur le fédéralisme dans vos pays.
Le premier enjeu, j’en ai glissé un mot tout à l’heure, consiste à assurer l’adéquation entre le système fédéral que l’on bâtit et la réalité. Il s’agit d’intégrer différents États, provinces ou autres entités, dans un plus grand ensemble politique, tout en préservant leur identité particulière et en respectant leurs choix de société particuliers. Comment concilier le respect de cette différence avec la cohésion et le développement de l’ensemble? Telle est la question qui nous préoccupe le plus au Québec.
La vision propre au gouvernement du Québec quant au fonctionnement du fédéralisme au Canada et nos efforts pour y renouveler les relations intergouvernementales tentent d’apporter une réponse à cette question.
Le gouvernement du Québec a décidé de jouer au Canada un rôle de premier plan pour relever ce défi à la fois ambitieux et essentiel pour l’avenir du Québec au sein du Canada. Le gouvernement dont je fais partie est convaincu que le cadre fédéral canadien constitue le modèle politique le plus apte à assurer l’épanouissement des aspirations des Québécois. Pour cela, il est d’une importance vitale que le Canada maintienne une identité véritablement fédérale, reflétant la diversité de ses composantes et de ses régions. Le Canada doit demeurer un pays où sont reconnus et promus deux principes que nous, au Québec, considérons comme des conditions sine qua non de notre adhésion au projet canadien : la reconnaissance de la valeur positive de la diversité et le respect de l’autonomie.
Pour le gouvernement du Québec, être véritablement fédéraliste, c’est encourager la diversité. Et encourager la diversité, c’est faire reconnaître et défendre la spécificité du Québec dans l’ensemble canadien.
En quoi consiste donc la spécificité du Québec? Elle repose bien sûr sur une langue, le français, qui est la langue officielle, commune et publique au Québec. Elle se caractérise aussi par une culture qui a été marquée au fil des ans par des influences diverses dont celles des Autochtones et des immigrants. Notre droit privé de tradition civiliste et donc d’inspiration française se distingue du droit privé des autres provinces canadiennes, dérivé du système anglais de common law. Nous nous distinguons aussi au Québec par des institutions propres et un mode de vie général propre.
La spécificité du Québec est ce qui nous définit en tant que peuple et en tant que nation au coeur même du Canada. C’est ce qui nous caractérise. C’est ce qui fait de nous une société à la fois singulière et plurielle : singulière, parce que cette société est inspirée par le besoin de protéger et de promouvoir le fait français en Amérique du Nord; plurielle, parce que le Québec n’est pas une société ethnocentrique et fermée sur elle-même, mais une société pluraliste, ouverte et accueillante envers les nouveaux arrivants comme envers les nouvelles idées.
S’il est vrai que le Québec est enrichi par sa participation à l’ensemble canadien, il est tout aussi vrai que le Canada est enrichi par la spécificité québécoise. Cette spécificité doit demeurer au centre de la définition du Canada en tant qu’État; elle doit en faire partie intégrante et en animer l’évolution.
Telle est la vision du gouvernement du Québec et telle est notre motivation pour renouveler, aujourd’hui, les relations intergouvernementales au Canada. Bien que ce dernier ne soit pas actuellement engagé dans un exercice de réforme constitutionnelle, il est néanmoins entré dans une ère où le fonctionnement de ses institutions politiques est appelé à se transformer rapidement s’il veut continuer à renvoyer une image fidèle de la réalité du pays. Or, les multiples impulsions qui sont données au fonctionnement de notre fédération prennent souvent des directions opposées.
Certaines contribuent à consolider le caractère décentralisé du Canada. D’autres cherchent à promouvoir des intérêts nationaux dits supérieurs et la centralisation des pouvoirs de l’État fédéral de telle sorte que l’esprit fédératif s’en trouve dénaturé.
Ce jeu simultané de forces centralisatrices et décentralisatrices n’est pas nouveau chez nous. En fait, depuis la naissance de notre fédération, en 1867, nous pouvons dire qu’il a existé deux conceptions du pays.
Ce n’est pas un secret que nombre de dirigeants politiques, qui représentaient alors la majorité anglophone des colonies britanniques d’Amérique du Nord, auraient préféré que la nouvelle Constitution canadienne ne soit pas celle d’un État fédéral mais plutôt celle d’un État unitaire, formé de l’union de ces colonies sous l’autorité d’un même parlement et d’un même gouvernement. Cependant, la plupart d’entre eux ont rapidement reconnu qu’un tel type d’union serait inacceptable pour la minorité francophone, largement concentrée au Québec. Ils ont donc vu dans l’approche fédérative un compromis permettant de prendre en compte les préoccupations fondamentales de la population du Québec. C’est ainsi que le Québec devenait en 1867 une province, un État fédéré, de la nouvelle fédération canadienne.
Comme tout bon compromis, la Constitution fédérale de 1867 a été rédigée de façon à favoriser l’adhésion du plus grand nombre. Elle comportait plusieurs mesures d’inspiration centralisatrice. Tellement que certains experts jugent que le Canada était, au départ, une quasi-fédération. Étonnamment, le tout premier premier ministre du Canada, John A. MacDonald, a même déjà suggéré que le modèle fédéral canadien reproduisait entre le gouvernement fédéral et les provinces la relation hiérarchique qui existait entre la métropole britannique et ses colonies.
Pourtant, la Constitution accordait, en même temps, les plus importants pouvoirs en matière locale et civile aux législatures provinciales. Les défenseurs du projet fédéral au Québec étaient à l’époque convaincus que l’exercice de ces pouvoirs allait permettre aux Québécois de protéger leur autonomie et leur identité nationale.
L’histoire subséquente témoigne de cette opposition entre deux conceptions du fédéralisme : l’une mettant l’accent sur une intégration assurée par un gouvernement fédéral dit hiérarchiquement supérieur; l’autre, sur la nécessité de reconnaître l’autonomie et l’originalité de ses diverses composantes. C’est évidemment cette dernière lecture de la Constitution canadienne que les gouvernements successifs du Québec ont défendue avec vigueur au fil des ans. Cette idée d’un fédéralisme canadien devant garantir à la société québécoise et à ses institutions un espace où elles peuvent jouir d’une grande liberté d’action, transcende les idéologies, les époques et les formations politiques québécoises.
La vision décentralisée du Canada, privilégiée par le Québec, a contribué à façonner le pays tel qu’on le connaît aujourd’hui. Il faut souligner que, dès la création du Canada, la vision ultra-centralisatrice qu’entretenaient certains hommes politiques au 19e siècle a été désavouée tant par les tribunaux que par la pratique quotidienne du fédéralisme au Canada. En outre, les pouvoirs conférés aux provinces – santé, éducation, politique sociale et familiale – ont vu leur importance s’accroître à mesure que le Canada vivait, comme la plupart des autres pays occidentaux, la naissance de l’État-providence et la transition vers un plus grand interventionnisme étatique. Ces champs d’activité gouvernementale sont aujourd’hui les plus importants, tant au niveau des postes budgétaires qu’aux yeux des citoyens.
Il s’est cependant développé, durant la deuxième moitié du 20e siècle, une pratique plus centralisatrice, largement en marge de notre Constitution, caractérisée par l’utilisation de ce que l’on appelle le pouvoir fédéral de dépenser dans des domaines de compétence provinciale. Je m’explique. Avec l’avènement de l’État-providence, le gouvernement canadien a commencé à utiliser la marge de manoeuvre financière qu’il avait acquise au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, afin de jouer un rôle dans des secteurs qui, jusque-là, avaient été peu développés par les gouvernements provinciaux, bien que relevant de leurs compétences constitutionnelles. Invitant ces derniers à se joindre à lui dans la mise en place de grands programmes sociaux à l’échelle du pays (assurancemaladie, financement de la sécurité sociale et de l’éducation postsecondaire), le gouvernement fédéral a ainsi joué un rôle important dans la création du filet social canadien. Ce qui en retour, et ce n’est pas négligeable, lui a permis de susciter des attentes chez tous les Canadiens, de se donner une visibilité plus grande et de s’approprier un rôle qui relève constitutionnellement des provinces. Un tel développement a grandement contribué à faire du Canada ce qu’il est aujourd’hui, mais il a aussi sa part d’inconvénients capitaux.
Le problème, c’est que cette présence fédérale dans les domaines de compétence provinciale a entraîné à la longue un brouillage du partage des compétences tel qu’établi par la Loi constitutionnelle de 1867 et sa conséquence, la centralisation du Canada au bénéfice du gouvernement central à Ottawa. Ce brouillage des compétences, un phénomène qui existe encore aujourd’hui, concerne autant le domaine des infrastructures routières que les listes d’attentes dans les hôpitaux, en passant par l’aide financière aux étudiants et le développement des villes et des villages.
Et ce problème est grandement amplifié en raison du fait que les gouvernements provinciaux disposent de ressources financières inadéquates pour assumer leurs responsabilités dont les coûts croissent sans cesse, alors que le gouvernement fédéral a des moyens financiers qui lui permettent non seulement d’assumer pleinement ses propres obligations, mais aussi de diminuer son niveau d’endettement et de dépenser une partie de ses revenus dans des domaines de compétence provinciale. Nous appelons ce phénomène le déséquilibre fiscal vertical.
Le déséquilibre fiscal nuit non seulement à l’autonomie du Québec, mais aussi à la capacité d’agir de toutes les autres provinces canadiennes dans leurs domaines de compétence. Cependant, je vous dirais qu’avant l’entrée en scène de l’actuel gouvernement du Québec, avant avril 2003, l’idée que tous les États membres de la fédération canadienne pouvaient former une force politique unie sur certaines questions importantes pour l’avenir du pays n’avait jamais été sérieusement considérée. On avait plutôt tendance à s’en remettre au gouvernement fédéral pour définir le bien commun du Canada. Le potentiel du dialogue interprovincial était tout simplement sous-exploité.
Dès son arrivée au pouvoir en avril 2003, le gouvernement dont je fais partie s’est mis au travail pour changer cette dynamique. Nous avons fondé notre politique intergouvernementale sur trois valeurs fondamentales que sont le respect de l’autonomie du Québec, l’affirmation de sa spécificité et l’exercice d’un leadership du Québec dans ses relations avec tous ses partenaires fédératifs.
En effet, il me semble évident que le Québec a de bien meilleures chances d’obtenir la reconnaissance de sa spécificité et le respect de son autonomie, en favorisant, grâce à son leadership, la redécouverte du sens véritable du fédéralisme dans l’ensemble du Canada. De manière surprenante, beaucoup de commentateurs politiques, d’éditorialistes et d’autres observateurs de la politique canadienne ont qualifié le Québec comme le défenseur du véritable fédéralisme au Canada. Son insistance sur le respect de ses compétences et sur la reconnaissance de son identité, loin d’être un obstacle à l’édification du Canada, constitue un gage de richesse et d’équilibre pour notre fédération dans son ensemble. L’autonomie et la spécificité québécoises font du Canada un pays plus fort, un pays plus riche. Les Québécois veulent participer à l’évolution du pays qui leur appartient. Ils veulent que leur conception du pays soit acceptée comme quelque chose de positif et non pas simplement accommodée par défaut ou par dépit.
Lors de mes échanges avec les représentants des autres provinces, j’ai immédiatement pu constater que le Québec n’était pas seul à comprendre la nécessité de rééquilibrer notre fédération. Notre gouvernement a donc rapidement réussi à réunir ses partenaires autour d’un thème commun : l’urgence de préserver et de renforcer le rôle institutionnel des provinces dans l’évolution du Canada. Notre but ultime est de faire des provinces des acteurs à la fois pleinement autonomes dans leurs sphères d’activité et capables, au même titre que le gouvernement fédéral, de participer à la définition du bien commun du pays.
Pour mettre en oeuvre cette vision et intensifier le dialogue entre les provinces, le Québec a proposé la création d’un Conseil de la fédération, qui est né en décembre 2003. Le Conseil de la fédération est un forum composé des dix provinces et trois territoires du Canada, représentés par leur premier ministre respectif. Son objectif n’est pas d’atteindre l’unanimité à tout prix et à tous égards. Il n’a pas non plus été créé dans le but de s’opposer systématiquement aux décisions du gouvernement fédéral. Le Conseil de la fédération a plutôt été imaginé comme un forum d’échange et de concertation. Les provinces et les territoires y font connaître leurs positions sur une grande variété de dossiers d’actualité, notamment les arrangements fiscaux, la santé, les politiques sociales, l’économie et le commerce intérieur, de même que sur l’évolution institutionnelle du Canada. Lorsque, sur un sujet donné, les membres sont en mesure de dégager un consensus, les travaux au sein du Conseil permettent d’exprimer une position commune des provinces et des territoires, de mieux la documenter, de la faire connaître au public et d’agir de concert.
La mise en place du Conseil de la fédération constitue une innovation de taille dans le paysage institutionnel canadien. Le fait que le Conseil ait pu être créé aussi rapidement témoigne de l’importance des changements survenus sur la scène politique au Canada depuis 2003. Le Conseil de la fédération a déjà prouvé qu’il permet aux provinces et territoires, dans certains dossiers importants qui requièrent des ententes entre les deux ordres de gouvernement, d’entreprendre les négociations avec le gouvernement fédéral dans un rapport plus égalitaire.
L’expérience a aussi montré que le Conseil est un outil suffisamment flexible pour concilier la recherche du consensus intergouvernemental avec la défense des positions fondamentales du Québec, à savoir que son autonomie et sa spécificité soient reconnues et respectées. Dans le cadre du travail au sein du Conseil de la fédération, le Québec et tous ses partenaires fédératifs ont obtenu des gains significatifs dans des domaines qui leur sont importants, celui de la santé offrant l’exemple le plus notable.
Ceux d’entre vous qui connaissez l’histoire canadienne savez qu’il y a eu, par le passé, de vives résistances à ce que la différence québécoise soit reconnue dans le fonctionnement réel de notre pays; j’entends par là une reconnaissance qui va au-delà de la pure symbolique. En fait, je dirais qu’il y a longtemps eu un malaise, à l’extérieur du Québec, quant à l’idée selon laquelle le Québec, en raison de ses particularités linguistiques, institutionnelles, juridiques, politiques et sociologiques, puisse être traité dans certains cas de façon différente des autres membres de la fédération. C’est pourquoi la fédération canadienne, contrairement à d’autres fédérations, quasi-fédérations ou regroupements d’États, n’a pas eu autant recours qu’on aurait pu le souhaiter à des solutions dites « asymétriques », c’est-à-dire des solutions permettant d’accommoder les besoins et réalités particuliers du Québec ou ceux d’autres provinces.
A cet égard, notre gouvernement a d’abord choisi une voie pragmatique en cherchant à obtenir une acceptation générale du concept de fédéralisme asymétrique et du besoin de recourir à des solutions asymétriques. Grâce au leadership exercé par le Québec au sein du Conseil de la fédération et à la diplomatie intérieure menée par l’actuel gouvernement, cette démarche a apporté des gains tangibles, surtout depuis 2004.
Au cours des dernières années, le niveau des transferts financiers du gouvernement fédéral aux provinces avait été une source majeure de tensions. Ces tensions provenaient, d’une part, d’une contribution décroissante du financement fédéral au système de santé, à l’éducation postsecondaire et à d’autres services sociaux et, d’autre part, du fait que cet apport décroissant, était de plus en plus conditionnel. Pour le gouvernement du Québec, il a toujours été éminemment contestable que le gouvernement fédéral puisse imposer des conditions, par le moyen de ses transferts financiers, dans des domaines relevant exclusivement de sa compétence, réduisant ainsi l’autonomie provinciale, et diminuant une fondation importante sur laquelle le fédéralisme est bâti.
À partir de 2004, le point de vue du Québec a trouvé un écho chez ses partenaires fédératifs grâce au travail accompli au sein du Conseil de la fédération. Les partenaires du Québec étaient prêts à l’appuyer dans sa quête d’ententes intergouvernementales fidèles à sa conception du fédéralisme.
Dans le cadre de deux ententes intergouvernementales, l’une sur la santé et l’autre sur les congés parentaux, le Québec a obtenu des applications concrètes du principe d’autonomie et la reconnaissance de la possibilité de pratiquer au Canada, et je cite « un fédéralisme asymétrique, c’est-à-dire un fédéralisme flexible qui permet notamment l’existence d’ententes particulières pour n’importe quelle province » ainsi que « l’existence d’ententes et d’arrangements adaptés à la spécificité du Québec ».
Cette reconnaissance par le gouvernement fédéral et par toutes les provinces du potentiel des solutions asymétriques représente un gain appréciable non seulement pour le Québec, mais aussi pour le Canada tout entier. Elle se situe à contre-courant des tendances centralisatrices que j’ai évoquées précédemment. Elle permet également d’envisager des déblocages dans plusieurs domaines où la volonté d’innover a souvent été frustrée par un modèle centré sur le besoin d’uniformité. L’asymétrie traduit l’idée voulant que le fédéralisme ne soit pas fait que d’une mise en commun de ressources, de valeurs et d’idéaux, mais qu’il repose aussi sur la diversité de ses composantes, sur la capacité de chacune d’elles de faire valoir son originalité et sur son droit intrinsèque à donner une forme concrète à sa différence.
Cette différence, le Québec veut l’affirmer au Canada et aussi sur la scène internationale. Face aux défis de la mondialisation, il y a un besoin réel pour une contribution proprement québécoise au niveau international. Le Québec est interpellé au premier chef par des enjeux comme la diversité culturelle et linguistique, mais aussi par les relations économiques. Dans le cadre de mon séjour dans l’Etat de São Paulo, je participe d’ailleurs à une mission de promotion économique avec des entreprises québécoises leaders dans le domaine des technologies de pointe. Une telle participation active du Québec à la réalité des échanges internationaux me semble non seulement acceptable dans notre cadre fédéral, mais nécessaire, car il n’y a plus guère aujourd’hui de nos champs de compétence qui échappent à la sphère internationale.
Dans le monde, le Québec est l’un des pionniers en ce qui a trait à l’activité internationale des États fédérés. Il entretient des relations bilatérales directes avec la France. Il affirme sa capacité à conclure seul des engagements internationaux dans ses champs de compétence. Il possède un important réseau international de délégations et de bureaux. Nous souhaitons d’ailleurs bientôt ouvrir une représentation à São Paulo. Le Québec agit, au sein des institutions de la Francophonie internationale, en son propre nom à titre de gouvernement membre. Et il s’intéresse de près à de nombreux forums internationaux dont les travaux touchent à ses compétences. Bref, le Québec a une politique internationale qui lui est propre, une politique qui est à la fois complémentaire et respectueuse des priorités internationales du Canada.
Dans ce domaine aussi le gouvernement du Québec fait la promotion de sa vision d’un fédéralisme qui respecte son autonomie et sa spécificité. Dans le cadre du Conseil de la fédération, des discussions sont en cours avec le gouvernement fédéral en ce qui a trait au rôle des provinces dans la négociation des traités et dans les relations Canada-États- Unis. Nous avons par ailleurs favorisé, avec succès, la conclusion d’arrangements bilatéraux avec le gouvernement fédéral afin d’avoir une voix dans des forums internationaux portant sur des sujets qui touchent à sa spécificité. En mai de cette année, nous avons conclu avec le gouvernement du Canada une entente historique sur la place du Québec à l’UNESCO. Désormais, le Québec aura son propre représentant, au sein de la délégation canadienne, qui pourra parler au nom du Québec. L’accord prévoit aussi que le gouvernement du Canada consulte le Québec avant de prendre des décisions dans le cadre de cette organisation. Cet accord constitue une avancée importante dans l’adaptation de la culture fédérative canadienne à la réalité du pays, à la spécificité du Québec et au respect de son autonomie. L’accord bilatéral sur l’UNESCO nous enseigne que des solutions asymétriques peuvent être trouvées et s’avérer bénéfiques pour tous.
Ce type d’arrangement correspond tout à fait à la conception que se font la grande majorité des Québécois de ce que devrait être le fédéralisme canadien. Au Canada, le fédéralisme asymétrique constitue donc un atout majeur pour l’unité du pays. Le gouvernement du Québec souhaite que la flexibilité soit encore davantage intégrée comme principe directeur de la dynamique fédérale canadienne, comme elle l’est dans d’autres fédérations ou quasi-fédérations. C’est une tâche majeure, car les résistances auxquelles je faisais référence plus tôt n’ont pas complètement disparu. Certains commentaires exprimés dans le débat sur la reconnaissance de la nation québécoise qui anime le Canada depuis quelques semaines en témoignent. Nonobstant, nous avons toutes les raisons de nous réjouir des progrès incontestables que ce débat a apportés pour faire progresser notre vision du fédéralisme canadien et la contribution du Québec à la fédération canadienne.
En effet, la semaine dernière, à la Chambre des communes, nos députés fédéraux, ont adopté à une large majorité une motion reconnaissant « que les Québécoises et les Québécois forment une nation dans un Canada uni ». Cette motion présentée par le premier ministre du Canada, M. Stephen Harper, constitue un geste d’ouverture important à l’endroit du Québec. Ce geste est d’autant plus significatif que la motion a été appuyée par tous les chefs des partis représentés à la Chambre des communes. Il s’agit d’une avancée qui s’accorde avec le fédéralisme canadien ouvert et accueillant pour l’identité du Québec préconisé par notre gouvernement. En adoptant cette motion, la Chambre des communes a non seulement reconnu l’importance politique et sociologique de la nation québécoise au sein du Canada, mais aussi sa contribution historique à la définition même de notre pays.
La motion de la Chambre des communes sera, nous l’espérons, un premier pas important vers la reconnaissance concrète, par le cadre fédératif canadien, de la spécificité du Québec et de sa place particulière au sein du Canada. Notre gouvernement va continuer de travailler à convaincre ceux qui sont sceptiques quant aux résultats d’une telle entreprise. En respectant et en reconnaissant les différences sociologiques et politiques, au lieu de les nier, et en les transcrivant en termes de solutions particulières dans notre système politique, nous pouvons éviter des conflits sociétaux inutiles et contre-productifs. Notre vision est celle d’une nation québécoise confiante qu’elle peut garantir son avenir au sein du Canada. C’est aussi celle d’un Canada confiant dans sa capacité de développer un mode de gouvernance qui soit davantage respectueux de sa diversité intrinsèque et qui reconnaisse le droit à la différence, cette différence fût-elle de caractère national.
Nous oeuvrons pour que l’État canadien se détourne de ses tentations centralisatrices et renoue avec le véritable esprit du fédéralisme. Comme je vous l’ai présenté, cela implique une application du fédéralisme canadien plus respectueuse de la diversité des provinces et du Québec, de même qu’un meilleur respect du partage des compétences, tel que défini par la Constitution canadienne.
Dans chacune de nos fédérations, le partage des responsabilités étatiques n’est pas le fruit du hasard. Il obéit à une logique qui repose parfois sur la promotion de la diversité, parfois sur l’introduction de poids et de contrepoids pour améliorer la qualité de la démocratie, parfois sur un besoin de proximité entre le pouvoir public et le contribuable, parfois même sur le concept de subsidiarité.
Faire partie d’un État fédéral, ce n’est pas être contraint à se fondre dans un moule unique. C’est plutôt faire partie d’une communauté qui partage un territoire et une vision s’inspirant de valeurs communes, dans le respect de chacun des partenaires. C’est faire partie d’un système dynamique, toujours en adaptation avec son époque. Il y a d’ailleurs autant de fédéralismes qu’il y a de fédérations, chaque État adaptant la formule fédérale en fonction de ses besoins propres et de son contexte géopolitique et socioéconomique.
Le réseau des Régions partenaires lui-même s’inspire d’un principe inhérent au fédéralisme, celui de la coopération. Notre époque, caractérisée par une très grande mobilité, que ce soit des biens, des personnes, des services, des capitaux ou des enjeux, comme la pollution, ne nous permet plus de gouverner en vase clos – c’est d’ailleurs pourquoi nous coopérons dans le réseau des Régions partenaires. Cela est vrai entre États souverains, cela est encore plus vrai à l’intérieur d’une fédération. Cela ne veut cependant pas dire qu’il faille confier toutes les commandes au gouvernement fédéral et que le partage des compétences doive disparaître, au même titre que la mondialisation ne postule pas la disparition des États.
En cette ère de mondialisation, les gouvernements doivent mettre en commun leurs expertises et leur savoir-faire. Ils doivent se fixer des objectifs communs et partager des défis et des ambitions, voire des valeurs et des idéaux. Mais cette mise en commun, ce partage, ne doit pas entraîner la perte des entités qui y participent et qui y contribuent. Il doit plutôt servir à ajouter à ce qu’elles sont déjà, à les faire évoluer vers quelque chose qui les fait grandir, tout en respectant leur identité fondamentale.
Vous savez, en tant qu’êtres humains, nous sommes tous égaux. Et pourtant, nous sommes différents. Il ne me viendrait jamais à l’idée de nier ce que vous êtes, pas plus que je n’aimerais que vous niiez ce que je suis. Il ne me viendrait jamais à l’esprit de vous priver des ressources dont vous avez besoin pour vous épanouir dans ce que vous êtes, pas plus que je n’aimerais en être privé moi-même. En somme, il doit en être des collectivités, comme il en est des individus. Les collectivités qui existent au sein d’un pays, comme le Québec au sein du Canada, doivent être respectées pour ce qu’elles sont, leur identité particulière doit être respectée. Dans cet esprit, puisse le Canada réussir à relever le défi de l’exemplarité.
Merci.