La version prononcée fait foi.
Madame la Présidente,
Distingués invités,
Mesdames et Messieurs,
Amis francophones et francophiles,
Je souhaite remercier la présidente, Mme Helen Burstyn, et le Canadian Club de Toronto pour leur invitation.
J’aimerais profiter de cette tribune et de l’occasion qui m’est offerte pour vous parler de ce Canada que nous partageons et bâtissons tous ensemble, des défis auxquels notre pays est appelé à faire face, de la place du Québec dans le Canada de demain, mais aussi de nos accomplissements.
Car nous pouvons être fiers de ce que nous avons accompli en tant que pays. Tout au long de son existence, le Canada est parvenu, d’une manière imparfaite, j’en conviens, mais toujours dans un esprit de bonne volonté, à concilier les divers héritages qui ont façonné son identité.
Je pense entre autres à notre héritage britannique, français et autochtone, ainsi qu’à l’apport des Canadiens de toutes origines qui continuent d’enrichir le tissu social des grandes sociétés d’accueil qui composent notre pays.
Je pense également à notre cohabitation en terre nord-américaine avec les États- Unis, laquelle a influencé l’évolution de nos institutions politiques, que ce soit en adoptant, en 1867, le modèle fédéral ou en enchâssant dans notre Constitution, en 1982, une Charte des droits et libertés.
Bref, la conciliation d’identités et de cultures diverses est au coeur de ce qui fait de nous des Canadiens.
Dans le monde d’aujourd’hui, cette histoire qui est la nôtre, loin d’être un boulet, est plutôt un atout.
Nous vivons à l’ère de la mondialisation, de la libéralisation des marchés et de la modernité avancée. Cette époque se caractérise par un certain nombre de phénomènes planétaires qui semblent contradictoires à première vue, tels que l’émergence de grands ensembles politiques et économiques et, parallèlement, l’affirmation un peu partout dans le monde des identités particulières et un intérêt renouvelé pour des processus de décentralisation et de régionalisation.
Pour ma part, je crois que ces tendances ne sont pas mutuellement exclusives et, au contraire, qu’elles peuvent coexister. Plus précisément, nous savons tous que nous vivons maintenant dans une époque où les sociétés sont de plus en plus dépendantes les unes les autres. On ne peut plus, aujourd’hui, croire que notre société va évoluer en vase clos, de façon isolée. L’interdépendance est devenue une donnée incontournable. Cette évolution implique que nos gouvernements doivent de plus en plus chercher à travailler en collaboration les uns avec les autres. Ils ont besoin de coopérer davantage ensemble et de trouver des façons de gérer convenablement cette interdépendance accrue qui les lie. Lors du Sommet économique de l’Ontario qui a eu lieu à Niagara-on-the-Lake au cours des derniers jours, les leaders politiques et ceux du milieu des affaires de l’Ontario ont fait usage des termes « connectivité pour une plus grande résilience ».
Mais nous savons également que cette interdépendance, et l’espace commun auquel elle a donné naissance par la multiplication des réseaux d’échange, favorisent l’expression et l’épanouissement des identités particulières à plusieurs niveaux.
En fait, c’est l’un des plus grands gains de la modernité avancée que de pouvoir exprimer son identité propre, bref d’être soi-même!
On comprendra que dans ce nouveau contexte mondial, le concept classique de l’État-nation unitaire, qui suggère une relation exclusive, une identité unique, un seul gouvernement, apparaît dépassé.
Ceux qui, chez nous, voudraient se replier à l’intérieur des frontières de leur province, non seulement renient ce qui fait la richesse de notre pays, mais vont à contre-courant des grands phénomènes politiques, économiques et sociaux de notre temps.
Je vous le demande : quel meilleur outil que la formule fédérale pour gérer l’interdépendance et s’ouvrir à la diversité? C’est précisément ce qui rend le fédéralisme si pertinent et ce qui en explique la popularité de nos jours partout dans le monde.
Des pays tels que l’Australie, l’Inde, le Brésil, la Belgique, l’Allemagne, l’Autriche, la Suisse, la Russie, le Mexique et les États-Unis ont choisi le fédéralisme comme mode de gouvernance. Ensemble, les fédérations représentent plus de 40 % de la population mondiale. Ils représentent quelques-uns des pays les plus prospères dans le monde.
Fédération bâtie sur la diversité, le Canada, dès 1867, avait déjà une partie de la réponse aux phénomènes universels auxquels nous faisons face de nos jours. En effet, sur le plan structurel, notre pays possède des institutions qui lui ont permis – et lui permettent encore – de concilier l’unité et la diversité tout en gérant l’interdépendance croissante dans bon nombre de secteurs des politiques publiques.
Notre architecture institutionnelle n’est certes pas parfaite; elle mérite certainement des améliorations à plusieurs égards. Mais nous devons admettre que, dans l’ensemble, nos institutions ont permis de faire du Canada ce qu’il est aujourd’hui : un pays qui, de par le monde, suscite l’admiration.
Pour continuer à concilier unité et diversité tout en surmontant les nouveaux défis de notre époque, le Canada doit demeurer authentiquement fédéral.
Pour ce faire, il ne doit pas se fier uniquement à ses institutions fédératives, mais doit également renouer avec une culture politique davantage conforme à l’idéal fédéral.
Succomber aux réflexes unitaires, comme notre pays l’a trop souvent fait au siècle dernier, c’est renoncer aux principes sous-jacents à l’idéal fédéral et, en définitive, vider nos institutions fédératives de leur substance et de leur pertinence.
Je demeure toutefois optimiste en ce qui a trait à l’avenir de notre fédération. Au cours des dernières années, notre pays a fait certaines avancées qui témoignent d’une redécouverte de l’esprit fédéral.
À cet égard, la contribution du Québec n’est pas à négliger. Je pense notamment à la création, en décembre 2003, du Conseil de la fédération, à la conclusion, en septembre 2004, d’une entente sur le financement du système de santé, dans laquelle le fédéralisme asymétrique a été reconnu formellement par le gouvernement fédéral ainsi que l’ensemble des provinces et territoires, aux efforts pour réduire le déséquilibre fiscal et moderniser la formule de la péréquation, ainsi qu’à l’adoption par la Chambre des communes, en novembre 2006, d’une motion reconnaissant que les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni.
Mais notre pays peut faire beaucoup plus. Il doit renouer plus fermement avec les valeurs qui lui ont servi de fondement. Et surtout, il doit faire preuve d’une audace accrue, de créativité, d’imagination et d’ingéniosité afin que notre fédération reflète mieux notre diversité intrinsèque ainsi que les réalités de notre temps.
Jusqu’à présent, force nous est d’admettre que notre pays n’a pas démontré toute l’audace et toute la capacité d’adaptation qu’exigent les circonstances.
Un exemple éloquent de ce manque d’audace est la timidité qui se manifeste lorsqu’il est question de reconnaître un rôle pour les provinces sur la scène internationale, et ce, malgré l’influence croissante des processus transfrontaliers dans les questions intérieures.
Un autre chantier auquel il me semble essentiel de nous attaquer est celui de la problématique du pouvoir fédéral de dépenser dans les domaines de juridiction provinciale.
Le temps n’est plus à la timidité. En cette époque où le modèle fédéral gagne en popularité partout dans le monde, il serait fâcheux que notre pays, le troisième à avoir adopté la formule fédérale après les États-Unis et la Suisse, ne soit pas à l’avant-garde en matière de fédéralisme.
Alors que le modèle fédéral est vu comme un outil permettant d’unir dans un même État des nations aux identités multiples, il serait périlleux que notre pays, faute d’avoir préservé une culture politique empreinte de l’esprit fédéral, détourne nos institutions de leur raison d’être pour en faire des outils de centralisation et d’uniformisation.
Dans le contexte canadien, renouer avec l’esprit fédéral signifie également l’acceptation de la diversité de notre pays. Cela signifie l’admission d’une vérité fondamentale qui, étonnamment, malgré notre bagage commun et notre histoire, prête encore flanc à la controverse en 2008 : une même personne peut posséder plusieurs identités complémentaires. Une personne peut très bien, aujourd’hui, se définir comme Allemande et Européenne, Écossaise et Britannique, Texane et Américaine, et Québécoise et Canadienne.
Les Québécois ont toutes les raisons d’être fiers d’être Canadiens. Mais cette fierté d’être Canadiens ne les empêche pas pour autant d’être également fiers d’appartenir à la société québécoise, distincte notamment par sa langue, sa culture, sa tradition civiliste, ses institutions particulières et une certaine manière de vivre. Ces deux allégeances, québécoise et canadienne, peuvent être cumulées de façon tout à fait harmonieuse. Elles ne se contredisent pas. Elles s’enrichissent plutôt mutuellement, l’affirmation du caractère national distinct du Québec pouvant être conciliée avec la poursuite du projet commun canadien.
Pour cette raison, les Québécois demandent que la spécificité du Québec, en tant que caractéristique fondamentale de la diversité canadienne, soit pleinement prise en compte au Canada. Le Québec est le seul État majoritairement francophone en Amérique du Nord et, à ce titre, il est l’héritier d’une culture riche et spécifique qu’il est essentiel de soutenir et de développer.
De plus, le Québec considère que la culture relève de ses compétences et qu’il faut rechercher une meilleure cohérence pour assurer un développement intégré de la culture québécoise. Un des moyens pour concrétiser la reconnaissance de sa spécificité comme nation pourrait donc être la signature d’une entente Canada- Québec qui ferait du Québec le maître d’oeuvre des politiques et programmes en matière de culture sur son territoire.
Le Québec demande également une clarification, par une entente administrative, des rôles et responsabilités des deux ordres de gouvernement en matière de communications ainsi qu’une influence plus importante dans les décisions du CRTC qui concernent l’expression de la langue française.
Un débat sur le pluralisme canadien en général, et la spécificité du Québec en particulier, m’apparaît inévitable. Pourtant, je suis conscient que plusieurs, dans le reste du Canada, craignent la reprise de ce débat et souhaitent que notre pays prenne une tout autre direction. Trop souvent par le passé, notre pays a été attiré par le chant des sirènes de la centralisation et de l’uniformité.
Pour les tenants de ce discours séduisant, le moyen privilégié de relever le défi de la diversité consistait à l’atténuer le plus possible par un gouvernement central omnipuissant et omniscient, intervenant dans tous les domaines d’activité, notamment au moyen d’un prétendu pouvoir fédéral de dépenser, au nom d’un bien commun défini selon une approche « top-down ». Je ne crois pas que cette approche ait donné les résultats promis.
Par contre, les tenants de la « nation building » tous azimuts ont souvent présenté cette philosophie comme étant la mieux indiquée pour assurer l’unité de notre pays. Or, loin de cimenter l’unité de notre pays, cette approche uniformisante a engendré les effets contraires.
Lorsqu’on songe qu’à cette période centralisatrice ont correspondu la montée du mouvement souverainiste québécois, l’affirmation d’un régionalisme de l’Ouest fondé sur un sentiment d’aliénation face à Ottawa, une régionalisation sans précédent du système partisan sur la scène fédérale ainsi que l’émergence de la question autochtone, on réalisera rapidement que l’approche centralisatrice n’a pas livré la marchandise.
Je l’ai dit, je suis convaincu que le Canada doit, plus que jamais, miser sur la richesse que constituent sa diversité intrinsèque et son pluralisme sociétal, c’est-àdire la coexistence de plusieurs sociétés ayant une longue histoire et au sein desquelles, aujourd’hui, sont accueillis et intégrés les immigrants arrivant de partout dans le monde, dernière source de diversité qui se superpose à notre pluralisme historique.
Et l’une de ces sociétés d’accueil est, bien sûr, le Québec. Le Québec est une société qui se veut moderne, inclusive et rassembleuse. Il est ouvert sur le monde, généreux et accueillant. Il relève de nouveaux défis et cherche à élargir ses horizons et à conquérir de nouveaux marchés. Il cherche à préserver et à promouvoir son identité et est préoccupé par son autonomie, particulièrement dans ses rapports avec le gouvernement fédéral.
Le Québec que je viens de décrire est le Québec que j’aime et la raison pour laquelle je suis entré en politique il y a maintenant 10 ans.
Voilà pourquoi je crois que le nécessaire respect de nos différences et l’essentiel équilibre entre l’unité et l’affirmation de notre diversité doivent être constamment promus auprès des Québécois et des Canadiens.
D'ailleurs, l’actuel gouvernement du Québec croit en une francophonie canadienne unie et soutient le principe de la dualité linguistique au Canada. Ce gouvernement est déterminé à jouer un rôle actif au sein de la francophonie. Il aspire à faire du Québec le point de ralliement de la promotion de la langue française sur tout le continent.
Un de nos grands premiers ministres, William Lyon Mackenzie King, a déjà décrit notre pays de la manière suivante : « Si certains pays ont trop d’histoire, le nôtre a trop de géographie ».
En analysant la scène politique canadienne des dernières décennies et en observant comment, au nom de l’unité, l’héritage historique et le pluralisme originel de notre pays ont été ignorés, nous sommes forcés d’admettre qu’il avait raison.
Aujourd’hui, comme vous le savez, le chef du Bloc québécois, M. Gilles Duceppe, s’adresse présentement à l’Economic Club de Toronto dans une salle voisine.
Gilles Duceppe croit que la fédération canadienne évolue dans un sens qui ne concorde pas avec les intérêts du Québec, qu’elle ne peut pas être réformée et qu’il n’y a ni respect, ni avenir pour le Québec au sein du Canada. Il croit en la séparation du Québec du reste du Canada. Il tente probablement de justifier la pertinence de son parti et de prouver qu’il a les intérêts du Québec à coeur.
Même s’il prétend parler au nom des Québécois, soyez assurés que son point de vue et, plus important, ses motivations ne sont pas ceux de la majorité des Québécois, peu importe le résultat de la prochaine élection.
L’avenir du Québec ne repose pas dans les mains du Bloc québécois, un parti qui n’a d’autre aspiration que de dissoudre notre pays.
Il repose en grande partie dans les mains de l’actuel gouvernement du Québec, un gouvernement fédéraliste qui s’est donné la marge de manoeuvre nécessaire pour défendre librement les intérêts de chaque Québécois, peu importe qui dirige le gouvernement fédéral, et qui n’est pas inhibé par les préoccupations dogmatiques et les chimères inutiles.
L’actuel gouvernement du Québec est fermement engagé à renforcer la place du Québec au sein d’une fédération canadienne plus forte et à promouvoir un climat de collaboration productive plutôt que de confrontation futile.
En ces temps angoissés, il est important de réitérer que le gouvernement dont je fais partie est aussi engagé en faveur de la prospérité économique, d’un commerce plus libre en général et d’une union économique canadienne plus forte en particulier.
Notre gouvernement rêve non pas de l’indépendance du Québec, mais d’ouverture des frontières, telles que le vaste espace nordique du Québec ainsi que d’un plus grand espace économique pour nos entreprises, nos familles et nos enfants. Il rêve d’ouverture de nouveaux marchés tels que ceux de la France, de l’Union européenne et de l’Ontario.
Depuis que notre gouvernement a été élu pour la première fois en 2003, nos relations avec l’Ontario se sont améliorées et intensifiées.
En juin 2006, nos gouvernements ont signé un protocole de coopération général, neuf ententes sectorielles dans des domaines tels que les soins de santé, la sécurité civile, le tourisme et les affaires francophones, ainsi qu’une importante entente qui a mis un terme à des différends de longue date au sujet de la mobilité de la main-d’oeuvre dans le secteur de la construction. Je suis fier d’avoir participé à la négociation et à la conclusion de ces ententes avec Mme Marie Bountrogianni, qui était à l’époque mon homologue au gouvernement de l’Ontario.
Le Québec et l’Ontario travaillent actuellement ensemble à la création d’un partenariat régional dans le Canada central afin de renforcer nos économies et de stimuler la coopération relativement à des enjeux importants comme les changements climatiques, l’énergie et le transport.
En juin cette année, nos gouvernements ont tenu la toute première réunion conjointe des Conseils des ministres de l’Ontario et du Québec. Au cours de cette rencontre historique, nos premiers ministres ont signé une déclaration conjointe visant à renforcer les liens économiques entre le Canada et l’Union européenne, ainsi qu’un protocole d’entente concernant un système régional de plafonnement et d’échange des droits d’émissions qui contribuera à la réduction des émissions de gaz à effets de serre.
En outre, notre gouvernement se penche sérieusement sur la possibilité de mettre en service un train à grande vitesse dans le corridor Québec-Windsor.
Il s’agit là d’initiatives très prometteuses.
L’Ontario est bien sûr un voisin très précieux pour le Québec, mais c’est également un partenaire, un ami, et un allié. Je vous promets que je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour renforcer les relations entre votre province et la mienne. Je suis convaincu que, dans la poursuite de cet objectif, je pourrai compter sur le support de tous les membres de l’équipe du Bureau du Québec à Toronto, lesquels accomplissent un travail exceptionnel.
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Si notre pays a accompli beaucoup sur fond de désaccord quant à sa nature profonde, imaginez les prouesses qui seront à notre portée lorsque nous nous déciderons enfin à cesser d’ignorer les réalités historiques qui sont les nôtres et que nous nous accepterons tels que nous sommes, dans toute notre complexité.
Imaginez avec quel brio nous parviendrons à relever les défis de notre temps lorsque, dans un esprit de symbiose entre les diverses composantes de notre pays, nous valoriserons enfin notre patrimoine pluriel et le placerons au coeur de notre culture politique.
En chérissant notre diversité et notre pluralisme, nous donnerons tout son sens à l’histoire de notre pays.
Plus encore, je suis profondément convaincu qu’ultimement, la préservation de notre diversité intrinsèque et la reconnaissance de la spécificité du Québec contribueront à renforcer le Canada, à le rendre plus uni et rehausseront son prestige à la face du monde.
Nous, les Québécois, sommes maintenant plus que jamais prêts à contribuer positivement à l’évolution du Canada, une évolution dans la lignée de notre héritage multiple et de l’esprit fédéral.
Nous, les Québécois, sommes prêts à renforcer le dialogue et la coopération entre les provinces et à bâtir un fédéralisme coopératif qui s’exprimerait dans tous les domaines d’intérêt pour les Canadiens, et non pas uniquement dans ceux des provinces.
Dès 1867, les Pères de la Confédération, faisant de ce pays un État fédéral qui met en valeur notre diversité profonde, avaient trouvé une partie de la solution aux enjeux passés et présents. À nous d’être assez clairvoyants pour faire de ces enseignements un atout lors des prochaines décennies.
C’est à ce vaste chantier que je vous convie tous.
Je vous remercie.