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Musée de la civilisation – Québec, le 16 octobre 2014 Colloque La Conférence de Québec de 1864 – 150 ans plus tard – comprendre la fédération canadienne

La version prononcée fait foi.

Il me fait plaisir d’être ici, à Québec, à l’occasion de ce colloque sur le 150e de la Conférence de Québec.

Avant toute chose, je désire remercier sincèrement Mme Eugénie Brouillet ainsi que MM. Alain G. Gagnon et Guy Laforest pour cette initiative et l’invitation à y participer.

C’est ici, à Québec, il y a 150 ans, que se réunissaient les Cartier, Macdonald, D’Arcy McGee, Taché et autres « Pères fondateurs » qui allaient jeter les bases de notre fédération. Voilà une belle occasion de nous inspirer du passé pour nous projeter vers l’avenir. Comme pour tous les pays du monde, le nôtre fait face à de multiples défis.

Le plus grand défi des « Pères de la Confédération », réunis ici en 1864, était celui d’atteindre un difficile équilibre : celui de mettre en commun nos forces, si réduites, sur un territoire si vaste, pour assurer notre défense et notre prospérité économique, tout en maintenant une autonomie pour chacune des colonies sur les questions locales, afin de préserver l’identité culturelle des collectivités. Pour en arriver à ce compromis, les « Pères de la Confédération » étaient animés par des principes de solidarité, de réciprocité, d’entraide et de collaboration.

Ce sont ces mêmes principes qui doivent nous guider pour affronter les défis d’aujourd’hui. Que ce soit la question du déséquilibre fiscal, de la péréquation, du financement de nos infrastructures ou des transferts en matière de santé, les provinces et le fédéral doivent collaborer ensemble. Je reviendrai sur ces enjeux, qui concernent la qualité des services publics offerts à nos concitoyens et qui sont de la première importance.

Cela dit, on ne peut pas éviter d’aborder également la question de notre identité et de notre contrat social. La Constitution n’est pas, et ne doit pas être, un sujet tabou. Et, je tiens à le préciser : la question constitutionnelle n’est pas une affaire d’échéancier, mais de volonté. Entre partenaires, il faut pouvoir s’en parler, s’écouter, se respecter et se comprendre.

J’étais à Ottawa, il y a quelques semaines, pour participer à un colloque sur la vision que nous souhaitons pour le Canada de 2020. J’ai noté qu’aucun autre participant n’avait abordé la question de notre identité et de notre appartenance canadienne. Parmi les enjeux à considérer pour l’avenir, celui de la place du Québec au sein du Canada est fondamental, et il faut réapprendre à pouvoir en discuter calmement.

L’absence du Québec, au moment du rapatriement de 1982, demeure d’actualité. Le Canada de l’avenir doit pouvoir se développer avec le plein potentiel de chacun. Pour le Canada, une fédération fondée sur l’avantage mutuel et la réciprocité, la question de l’appartenance et de la reconnaissance du Québec est incontournable.

Le 7 février 1865, George-Étienne Cartier soulignait l’importance de la diversité comme fondement de notre union :

« Dans notre propre fédération, nous aurons des catholiques et des protestants, des Anglais, des Français, des Irlandais et des Écossais, et chacun, par ses efforts et ses succès, ajoutera à la prospérité et à la gloire de la nouvelle Confédération.

Nous sommes des races différentes, non pas pour nous faire la guerre, mais afin de travailler conjointement à notre propre bien-être… La diversité des races contribuera à la prospérité commune. »

Aujourd’hui, dans son livre, Un Québec exilé dans la fédération, Guy Laforest écrit :

« Le Canada est un véritable succès à l’échelle de l’humanité, l’un des pays parmi les plus pacifiques, justes et civilisés. Un pays où, pour ajouter ma propre voix, les forts comme les faibles peuvent dormir tranquilles dans un milieu social humain, décent, confortable, sans craindre le pire… Mais, comme pas mal d’autres personnes au Québec, sur les plans de l’identité politique et de l’appartenance, je ne suis pas un citoyen heureux dans le Canada de la charte. Au-delà de mes sentiments personnels, je crois que cela s’explique par le fait que le Québec n’est pas intégré correctement dans le nouveau Canada qui a surgi depuis la réforme constitutionnelle de 1982. »

Même si tous ne partagent pas l’opinion de M. Laforest au sujet de l’appartenance, on ne peut ignorer que le sentiment auquel il fait référence est présent au sein de la population québécoise. Cela dit, ce n’est pas le concept de « charte des droits et libertés » qui pose problème.

Le Québec a adopté sa Charte des droits et libertés de la personne en 1975, sept ans avant la charte canadienne. Il y a, par ailleurs, une crainte à l’égard des risques découlant d’une éventuelle interprétation qui ne reconnaîtrait pas la spécificité québécoise. Minoritaire dans le contexte canadien, le Québec a constamment été préoccupé par son avenir de société d’adhésion.

Cet état de fait n’est pas nouveau; il faisait partie du questionnement avant 1982. La loi de 1982 a accentué la problématique. Les Québécois auraient souhaité une réponse entre 1987 et 1990. Malgré une tentative honorable, la réponse se fait toujours attendre. Mais l’attente ne fait pas baisser les bras.

Dans une conférence portant sur la naissance de notre fédération comme celle-ci, il est utile de s’inspirer de certains jalons du passé. Par exemple, certains présentent l’Acte de Québec de 1774 comme un contrepoids à la Proclamation royale de 1763. En 1774, Londres nous reconnaissait notre langue, notre religion et notre droit civil français.

Pour Guy Laforest, l’Acte de Québec est la magna carta de la politique de la diversité et de la reconnaissance identitaire au Canada et au Québec. D’une certaine manière, on peut aussi présenter l’acte fédératif de 1867 comme le contrepoids à l’Acte d’Union de 1840. Comme l’écrivait Jean-Charles Bonenfant, « l’esprit de 1867, c’est donc aussi l’acceptation définitive de l’existence des Canadiens français, c’est la suite logique de l’Acte de Québec ». Tout au long de l’Histoire, les décideurs ont voulu affirmer le gène de la spécificité québécoise et de sa reconnaissance comme faisant partie de l’ADN du Canada.

L’évolution du Canada, comme un balancier, nous permet d’anticiper, dans la suite de 1982, un contrepoids d’ouverture. D’ailleurs, comme le Canada avait déjà commencé à changer avant 1867, il s’est aussi déjà transformé depuis 1982. Avant les grands moments, les grandes dates historiques, il y a du mouvement. Ce n’est pas une affaire de date et d’échéancier; c’est une affaire de volonté.

Depuis 1982, les acteurs politiques ont multiplié les gestes de reconnaissance de la spécificité du Québec. En 1991, l’entente McDougall–Gagnon-Tremblay a confirmé les pouvoirs en immigration du Québec et, incidemment, l’interculturalisme comme mode d’intégration des nouveaux arrivants. En 2004, l’entente sur la santé a notamment reconnu l’asymétrie pour le Québec. La Chambre des communes a reconnu, en 2006, que les Québécois forment une nation au sein d’un Canada uni. La même année, le Canada a octroyé au Québec un siège à l’UNESCO. Plus récemment, la négociation du traité de libre-échange avec l’Europe a été menée conjointement avec les provinces. Enfin, encore dernièrement, en matière de main-d’œuvre, le Québec a pu exercer un retrait avec compensation.

Une évolution du même type a été menée par la Cour suprême. Il faut relire les avis de la Cour suprême en matière de protection des consommateurs, de réglementation des valeurs mobilières, de réforme du Sénat ou encore celui sur la nomination des juges à la Cour suprême, pour constater avec quelle vigueur la Cour reconnaît le caractère fédératif de notre Constitution, de même que la spécificité du Québec.

En mars dernier, la Cour se penchait sur la validité de la nomination du juge Nadon et nous offrait le passage suivant :

[49] « L’objectif de l’art. 6 est de garantir que non seulement des juristes civilistes expérimentés siègent à la Cour, mais également que les traditions juridiques et les valeurs sociales distinctes du Québec y soient représentées, pour renforcer la confiance des Québécois envers la Cour en tant qu’arbitre ultime de leurs droits. »1

Comme pour les périodes qui ont précédé 1774 et 1867, le mouvement du balancier est à l’œuvre. Le contrepoids d’ouverture et de reconnaissance de la différence peut apparaître. Dès le moment où l’un de nos partenaires fédératifs souhaitera relancer une discussion constitutionnelle, ces enjeux seront sur la table.

La société distincte est maintenant mieux connue et apprivoisée par les décideurs politiques et les tribunaux. Les Québécois forment une nation dans une fédération. C’est une société pluraliste qui a fait le choix de l’interculturalisme depuis longtemps. Ce choix de l’interculturalisme, fait également partie de la spécificité québécoise. Ce modèle permet d’atteindre un équilibre pour la majorité francophone, par ailleurs minoritaire au Canada et en Amérique, et qui souhaite aussi ouvrir la porte à la diversité et, à son tour, la reconnaître. Le Québec, comme société nationale distincte, n’est pas figé dans le temps. Terre d’accueil et d’interrelation, ouverte au pluralisme, c’est une société interculturelle qui se transforme au rythme des interactions. Le Québec de l’avenir est déjà visible : une nation dans une fédération, avec une langue, une culture, un droit civil et des valeurs sociales distinctes, dont celle de vivre le pluralisme au rythme des interrelations de l’interculturalisme.

Le prochain mouvement du balancier est certainement d’inscrire cette réalité dans un geste d’acceptation expresse de reconnaissance. Avec une identité forte et reconnue, le Québec de l’avenir verra diminuer ses craintes et ses doutes. Son appartenance canadienne renouvelée permettra à toute notre fédération, d’est en ouest et jusqu’aux limites nordiques, de bâtir l’avenir dans l’honneur et l’enthousiasme.

Cela dit, la volonté commune de bâtir l’avenir n’est pas une seule question d’appartenance et de reconnaissance. Dans notre gouverne quotidienne, nous devons réapprendre à collaborer. Lester B. Pearson rappelait l’importance du respect des partenaires et de leur nécessaire collaboration. Je le cite :

« Notre fédéralisme doit être conçu de façon assez souple pour permettre l’existence d’un gouvernement canadien qui soit fort dans les limites de sa juridiction… Nous voulons également donner aux provinces toutes les attributions et tous les pouvoirs que leur confère la Constitution ainsi que les moyens d’exercer ces pouvoirs. Je tiens à répéter que nous devons arriver à un fédéralisme coopératif. C'est-à-dire une formule fédérative exempte de tout esprit de centralisation inacceptable. »

Pearson réfère au fédéralisme coopératif sous l’angle des moyens disponibles aux provinces pour exercer leurs compétences. C’est de ce fédéralisme dont il est question lorsque le sujet du déséquilibre fiscal revient sur la table. Que ce soit le Conference Board du Canada, le Conseil de la fédération ou le directeur parlementaire du budget à Ottawa, il est évident que le fédéral voit ses moyens s’accroître, alors que ce sont les besoins qui augmentent, pour les provinces.

En matière de santé, le vieillissement de la population et la décision unilatérale du gouvernement fédéral de diminuer sa contribution viennent ajouter une pression additionnelle. Il faut revoir cet arrangement. Nous croyons que la contribution fédérale devrait s’élever à 25 % des investissements provinciaux en santé. Pour mémoire, à l’époque de l’adoption de la loi canadienne sur la santé, cette contribution s’élevait à 50 %.

Par ailleurs, nos infrastructures contribuent à la vigueur de notre économie, comme pour le chemin de fer, il y a 150 ans. Il y a 150 ans, l’ouverture de l’ouest a lancé l’économie canadienne. Aujourd’hui, avec le Plan Nord au Québec, et le Ring of Fire en Ontario, il s’agit de mettre en valeur nos richesses et notre environnement du nord. Les provinces investissent 3 % du PIB, et le fédéral, 0,5 % du PIB dans les infrastructures. Il pourrait hausser son effort à 2 %. Nous devons collaborer.

C’est aussi le cas en matière de péréquation. En décidant unilatéralement d’imposer un plafond à ce transfert, le gouvernement fédéral a dénaturé l’objectif initial. Dorénavant, parce qu’elles ne seront plus suffisamment compensées pour la différence d’assiette fiscale, il y aura des services aux citoyens qui ne seront pas de même niveau dans des juridictions différentes. L’importance accordée par les Canadiens à l’idée d’entraide et de solidarité nous oblige à revoir cette décision fédérale.

Le Québec n’est pas seul à solliciter cette collaboration. Les gouvernements de toutes les provinces et des territoires représentant tous les Canadiens demandent la reprise du dialogue, la valorisation de la collaboration raisonnée et le recours aux faits, à la preuve statistique et à la science comme fondements du processus décisionnel.

Nous voulons promouvoir les intérêts du Québec, et cela signifie aussi de faire avancer le Canada. Nous voulons être de toutes les tribunes, comme acteurs de changement et de progrès. Notre conviction est qu’il faut être partout, pour être mieux maîtres chez nous. Le Québec est fier, inclusif et confiant.

Nous sommes Québécois, et c’est notre façon d’être Canadiens. Cela peut être reconnu.

Merci.

Jean-Marc Fournier
Ministre responsable des Affaires intergouvernementales canadiennes et de la Francophonie canadienne

 

1. Renvoi relatif à la Ce lien ouvrira une nouvelle fenêtre. Loi sur la Cour suprême, art. 5 et 6, 2014 CSC 21, [2014] 1 R.C.S. 433.